PRÉPARER LES INTELLIGENCES ARTIFICIELLES À SERVIR LES PROGRAMMES D’ARMEMENT
DES SCIENCES COGNITIVES DANS UN LABORATOIRE OUVERT A TOUTES LES FAÇONS DE PENSER
La future collaboration humain - agent artificiel, par exemple dans le SCAF, mais aussi pour faire face aux mêmes nouveautés chez les adversaires, se prépare avec les opérateurs dans un environnement du type «tiers lieu»
Prévoir des emplois inattendus, où les opérateurs garderont la maîtrise des systèmes d’armes
Les innovations en cascade, et notamment les aides cognitives par l’intelligence artificielle, ouvrent de nouvelles perspectives notamment au travers d’emplois inédits. Une innovation militaire vaut surtout par son usage approprié et effectif sur le champ de bataille, permettant d’assurer une domination sur son adversaire qu’elle soit défensive ou offensive et sans exposer de faiblesses non maitrisées.
C’est à la croisée de l’évolution d’usage et de l’avancée technologique, convenablement appréhendés et maîtrisés, que se présente la possibilité d’un avantage décisif (ou d’une innovation potentiellement décisive).
L’intégration de technologies innovantes dans les systèmes de combat actuels et futurs ne peut se faire sans appréhender soigneusement la composante psycho-cognitive, notamment au niveau de l’ergonomie. En effet, le combat collaboratif connecté dans le programme SCAF ou le « Mosaic warfare(1) » américain va conduire à un accroissement de l’information à traiter, à une complexité exponentielle de ce système de systèmes sociotechniques, et risque d’atteindre les limites cognitives des opérateurs humains. Ces derniers devront donc s’appuyer sur des technologies nouvelles (agents autonomes, interfaces disruptives…). Penser les usages de demain ne peut se réaliser qu’en combinant les efforts des opérationnels à ceux des équipes programmatiques et Facteurs Humains (FH), composées de spécialistes en sciences cognitives, dans une approche scientifique itérative au sein d’un Metavers adapté.
Une nouvelle approche : le «Human factors air operation lab »
Pour répondre aux problématiques évoquées plus haut, une proposition de « démarche innovante » est initiée et effective au sein du Centre d’Expertise Aérienne Militaire (CEAM), en collaboration avec DGA Essais en vol (DGAEV) et l’Agence d’Innovation de la Défense (AID).
Elle s’appuie sur une démarche scientifique structurée selon (ou par) la dimension cognitive. Il s’agit d’une démarche itérative, agile et prospective traduite en proof of concept (POC) dans un modèle d’innovation orienté par les usages, avec les opérateurs de première ligne. Cette démarche est mise en œuvre par le laboratoire qui est au sein d’un écosystème ouvert de type tiers lieu, au plus proche de l’univers opérationnel mais non connecté aux réseaux militaires.
Les caractéristiques de cette approche et de sa déclinaison au sein du CEAM :
- Un écosystème ouvert de type tiers lieu qui a pour vocation de regrouper plusieurs univers : opérationnel, industriel, programmatique (DGA et MINARM) et académique. Cet écosystème a également pour but de modéliser l’environnement et l’activité futurs. Décorrélé des réseaux militaires opérationnels, il pourra simuler et modéliser l’activité opérationnelle actuelle et future des combattants.
Cet écosystème est nativement interconnecté aux moyens de simulation SCAF de DGA-EV.
- Une approche scientifique anthropo-centrée : la considération des limites et spécificités de la cognition humaine est impérative pour envisager le développement de futurs systèmes de systèmes sociotechniques complexes exploitables par des humains.
- Un modèle d’innovation opérationnelle centré usager : les acteurs de première ligne (opérateurs de combat et experts du CEAM) co-développent, testent et sont les sujets des expériences POC afin de développer, par la connaissance de l’activité opérationnelle actuelle, la cohérence de l’activité future, transformée par ces technologies inédites.
- Une approche itérative par proof of concept (POC) qui va permettre de découvrir, de définir, d’évaluer, de développer et de modeler l’implémentation de technologies disruptives, leurs nouveaux usages et doctrines, la collaboration de l’humain / machine dotée d’IA dans un système de systèmes sociotechniques complexe et ainsi de démontrer leur adéquation opérationnelle future.
- Le développement adapté de modélisations, de simulations : simulation tangible d’idéation, simulation mixte immersive à base de réalité virtuelle et augmentée, simulation pilotée et wargaming, mais également des outils d’objectivation du comportement humain.
- Une composante data factory au sein du laboratoire : au travers des POC et des expérimentations, la caractérisation opérationnelle et FH des données produites en situation écologique (au plus proche du réel), générera les jeux de données nécessaires aux algorithmes pour leur entrainement.
Le but est de développer et de disposer d’une capacité objective d’anticipation techno-opérationnelle dans une friction constructive, encadrée scientifiquement, de type techno push / operational pull.
Ce processus vise en effet à :
- déterminer le potentiel des technologies de rupture et anticiper les futurs usages et modes d’actions associés ;
- modéliser, tester et valider les choix et les concepts des futures interactions humain - système, notamment doté d’IA ;
- développer et évaluer les natures de cockpit en termes de logiques de conception ;
- contribuer à la spécification des besoins fonctionnels dans ce domaine ;
- anticiper et assumer la perte d’expertise humaine psychomotrice comme cognitive ;
- générer les données nécessaires à l’entrainement des algorithmes en cours de développement, puis à leur évaluation ;
- préparer, avec la DGA, les outils de validation et de qualification de la composante des Facteurs Humains des systèmes à base d’IA.
Une démarche étendue à la collaboration inter-plateformes
Cette démarche effective est soutenue par l’AID et se décline notamment par le développement du projet Monde Interactif Numérique de Développement (MIND) consistant en l’expérimentation de différentes ontologies de cockpit.
Les études en cours couvrent également la supervision de meutes d’effecteurs hétérogènes de type remote carriers, l’analyse de l’utilisabilité de systèmes intelligents embarqués, de la confiance dans ces systèmes à base d’IA et de la collaboration entre agents humains et agents artificiels. Enfin un projet permettant l’analyse systémique des collaborations intra-cockpit et inter-plateformes est en cours de préparation.
Les perspectives de cette approche innovante au sein du tiers lieu Human Factors Air Operations Lab s’inscrivent dans une conception distribuée des futurs systèmes d’armes, notamment relative aux IA et à la production des données associées. Cette démarche renforce les coopérations entre les différents acteurs de cette conception que sont les entreprises et start-up de défense, la recherche, la DGA, le CEAM et les utilisateurs finaux (forces). Cela conforte la base industrielle et technologique de défense pour être en capacité de relever les enjeux de défense et de souveraineté nationale.
(1) : Mosaic Warfare: Exploiting Artificial Intelligence and Autonomous Systems to Implement Decision-Centric Operations Future Warfare & Concepts
Diplômé de l’Ecole de l’air, pilote opérationnel ayant commandé l’escadron de transport tactique Ventoux, le LCL RANC a occupé différents postes de planification opérationnelle et capacitaire, en interarmées mais également en milieu interalliés et international dans différentes institutions (OTAN, UE). Ergonome de formation, il développe au sein du CEAM le laboratoire tiers lieu Human factors air operations lab.
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