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Le siège de Systra vu du périphérique Porte de Sèvres
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16 octobre 2015

DÉCIDER, C’EST LA VIE ; LA VIE C’EST DÉCIDER

Un long et continu apprentissage de la décision se nourrit d’optimisme et de convictions dans un environnement incertain.


Profession décideur : Quelle drôle de question au moment où, à 54 ans, je vole vers Boston pour suivre un stage d’une semaine sur le leadership, alors que, pour la troisième fois de ma vie, j’exerce la profession de directeur général, CEO, président, bref celle de décideur en chef de l’entreprise. On dit souvent que gouverner c’est prévoir, je crois que c’est d’abord décider. J’entends encore Jean-Jacques à Toulouse, à qui j’avais acheté sa PME de copains pour l’intégrer dans une filiale de Technicatome : « Dans votre job, l’important c’est de prendre plus de bonnes décisions que de mauvaises. Dans votre cas, il faut reconnaître que la statistique est plutôt favorable, merci Pierre ». Son accent rocailleux de l’Ariège résonne à tout jamais dans mes oreilles. Tout est dit, le point clé du management c’est la décision, si possible la bonne, mais, quoiqu’il arrive, il faut décider. L’entreprise étant comme un avion, si elle arrête son mouvement, elle part en vrille très rapidement.

Comment devient-on un décideur ?

Je ne sais pas. Est-ce en observant mon père à la tête de son régiment ou les portraits de tous ces officiers au mur de la maison ? Estce en observant mon grand-père, exploitant agricole, qui devait prendre la bonne décision de semence, de récolte ou d’investissement. Toujours est-il que, pour mon premier quart à la passerelle de l’aviso - escorteur Balny, le 14 juillet 1982 (je m’en souviens encore), je jubilais de pouvoir dire, « je prends le quart ». Enfin aux manettes, c’est moi qui décide.

30 ans après, la jubilation est la même. Le sens du devoir aussi. 140 marins et 2 000 tonnes de matériel de l’Etat dépendait de moi ; avec le temps, les enjeux ont grandi, toujours plus d’hommes et de femmes, toujours plus de millions d’euros mais la satisfaction de réussir un exercice difficile est toujours la même.

L’Etat a l’éternité pour lui

Mais comment réussir (pour l’instant !) des exercices de plus en plus difficiles ? J’ai dit que je ne savais pas vraiment d’où venait l’impulsion initiale, mais ce que je sais c’est qu’ensuite, cela se travaille, et durant toute la vie. C’est même un processus fortement cumulatif où les premiers postes ont une influence capitale. De ce point de vue là, le Corps de l’Armement est une bonne filière. Cela peut paraître paradoxal car en étant un peu provocateur, on peut observer que, contrairement à l’entreprise, le char de l’Etat peut rester immobile, il ne tombera jamais, il a l’éternité devant lui pour arriver à ses fins. Cette sécurité absolue peu parfois pousser certains de nos collègues à la procrastination perpétuelle ; mais qu’ils se rassurent, ce défaut est aussi largement représenté au sein de l’entreprise, surtout les grandes. Toujours est-il que mon premier poste en tant qu’ingénieur, au sein de ce qui était encore l’établissement d’Indret, a contribué significativement au développement de mon esprit de décision. Décideur, vous l’êtes immédiatement, c’est l’avantage de ce Corps qui vous propulse très rapidement à des postes où il faut trancher, arbitrer, aller de l’avant, d’abord sur des décisions techniques (les revues de conception des circuits de l’appareil moteur du SNLE-NG restent encore pour moi le creuset de toutes mes réunions techniques). Décisions commerciales ensuite car, très vite, il faut rédiger des cahiers des charges, choisir des fournisseurs, négocier des avenants. Décisions humaines, car au bout de quelques années, vous êtes propulsé chef de service, de section de département. Il faut recruter, noter, choisir. Ces 6 années ont été vitales pour moi, j’y ai croisé des décideurs extraordinaires : ingénieurs chargés, chef de département sous-marins, sous-directeurs. Tout n’était pas bien décidé, mais tout ce qui devait l’être l’était du mieux possible et en temps utile.

« les valeurs de l’entreprise doivent toujours prendre le pas sur la contrainte économique »

 

Economie et éthique

J’ai croisé aussi des non-décideurs. Leur nombre a finit par me pousser hors de la DGA, mais je ne regrette nullement cette formation passionnante qui a constitué mon background permanent dans les 25 années qui ont suivi.

Ayant très rapidement compris que je serai plus vite directeur - général de société que général directeur d’établissement de la DCN j’ai pu rapidement découvrir, en basculant dans le privé, un ressort qui me manquait encore, c‘est celui de la contrainte économique. Même si les français font preuve en général d’une aversion marquée pour la concurrence et l’économie de marché en général, il faut bien reconnaître qu’on n’a pas encore trouvé mieux que le ressort de la contrainte économique pour inciter à la décision, si possible avec plus de 50 % de succès.

« …serait formidable s’il décidait plus vite »

Cette contrainte est saine, elle permet de rationaliser les choix, de les quantifier, d’en mesurer les effets. Elle n’est cependant jamais toute puissante, les valeurs de l’entreprise doivent toujours prendre le pas sur elle. Quand il s’agit d’éthique et de conformité c’est une évidence, jamais un profit stable ne pourra se fonder sur la malhonnêteté ou la corruption. Quand il s’agit de valeurs humaines, c’est une certitude. Même si, hélas, il faut savoir licencier un incompétent ou initier un plan social, il est clair que ce n’est acceptable par les autres salariés (qui sont le futur de votre entreprise) que si vous avez été juste, honnête, transparent, agissant au nom de l’utilité collective et non pour une « petite » optimisation économique, que vous paierez cher sur le long terme si vous vous y risquez.

Décider sans tout connaître

Mais alors, me direz-vous quel est le secret des bonnes décisions ? Et bien, ce n’est pas juste une question d’expérience et d’optimisation sous contrainte ; ce n’est pas non plus un vote démocratique ni le fruit d’un sondage. C’est d’ailleurs un autre choc qui attend le jeune ingénieur candidat - décideur. Ce n’est plus comme à l’école : l’exposé est incomplet, le temps alloué n’est pas défini (mais le compteur tourne !), il n’y a pas qu’une solution (peut-être n’y en a-t-il pas), le barème n’est pas clair, le correcteur n’est pas connu, ou alors il est notoirement incompétent, bref, nous sommes en environnement flou et il n’existe pas de modélisation complète de la situation. Heureusement, il reste des hommes et des femmes, des collaborateurs, des adjoints, des administrateurs, des avocats, des commissaires aux comptes, des clients, des « parties prenantes » ; tous ont leur mot à dire, il vous faudra confronter leurs points de vue avec le vôtre, avec votre expérience mais surtout avec ce qui est au fond de vous même : votre vision (de l’entreprise, du monde, de la vie), vos valeurs, bref, tout ce qui, à longterme, fera que vous prendrez plus de bonnes décisions que de mauvaises. Et l’important surtout, c’est d’éviter la moyenne, la tiédeur, le compromis qui vous ferait en fait tomber dans les abysses de la non-décision. Décider, c’est souvent trancher, et le nœud gordien est resté un exemple de non-procrastination réussie.

Une anecdote pour finir : 2001, Toulouse, après 4 années de redressement laborieux, ma filiale tourne rond et je décide de suivre un stage de management. Je commence par un 360 et l’un de mes adjoints qui m’a soutenu dans cette traversée du désert où je n’ai cessé de courir, de licencier, de recruter, de trancher, termine le questionnaire par une remarque libre : « brillante analyse, serait formidable s’il décidait plus vite ». Quelle frustration, j’aurais pu aller plus vite, ils étaient prêts à suivre !  

 

 

 

 

    
Pierre Verzat, IPA
Pierre Verzat (X – ENSTA), a commencé sa carrière à DCN Indret, avant d’occuper des fonctions de direction successivement à la filiale BEA de Dalkia, à Technicatome, à sa filiale d’équipements électroniques ELTA, à Astrium Space Transportation, et Astrium Services. Il est Président du Directoire de SYSTRA depuis mars 2011.
 

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