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Avions d’essais avec la couleur orange caractéristique, en présence de la PAF
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18 juin 2021

L’EPNER : 75 ANS DE FORMATION AU ESSAIS EN VOL
UN LIEN ETROIT AVEC SES HOMOLOGUES ETRANGERES

Publié par et Gautier Roux, Capitaine de frégate N° 123 - COOPERATION AERONAUTIQUE EUROPEENNE

L’EPNER est l’école française des essais en vol. Au sein de la DGA depuis ses débuts (au sein du CEV, puis de DGA Essais en Vol), elle fête cette année ses 75 ans. Retour sur le riche passé et l’avenir prometteur d’une belle institution, pour laquelle la coopération internationale a toujours été une seconde nature.


L’EPNER est une machine à transformer, en environ 1 an, un pilote opérationnel expérimenté en pilote d’essais, mais aussi un ingénieur en ingénieur navigant d’essais ou encore un contrôleur aérien en contrôleur d’essais. etc. et ce dans la filière « avion » ou « hélicoptère ».

Le rôle du conducteur d’essais     

L’organisation d’un vol d’essais fait intervenir une multitude d’acteurs au sol et en vol. À bord, l’équipage d’essais se compose de manière typique d’un ou plusieurs pilotes d’essais et d’un ingénieur navigant d’essais. Ce dernier est en quelque sorte le chef d’orchestre de la mission, responsable de la conduite d’essais, c’est à dire de la gestion globale des points de mesure à effectuer pendant le vol, de leur validation, et de leur répétition si nécessaire. Il est également responsable de la récupération des résultats. Suivant le niveau de complexité de l’essai, et suivant la place disponible dans l’aéronef, l’ingénieur d’essais peut aussi être en salle d’écoute : il suit alors le vol sur les écrans, grâce à l’installation d’essais embarquée à bord de l’appareil qui envoie par télémesure les données en temps réel.

Le rôle du pilote d’essais      

Le pilote est là pour mettre en œuvre l’appareil et assurer le déroulement du vol d’essais en garantissant la sécurité du vol. Une fois ce socle assuré, il s’agit pour le pilote d’être capable de prendre le recul nécessaire, pour se regarder lui-même dans sa tâche de pilotage ou de conduite des systèmes. Le pilote doit s’autoévaluer, et juger le niveau de difficulté de la tâche ainsi que l’adéquation du système en essais avec la mission. Il doit ensuite envisager la capacité d’un pilote à utiliser sans habileté particulière l’aéronef et les systèmes, évalués dans les mêmes conditions. Il fournit un retour d’expérience vers l’ingénieur, qu’il fait passer dans le prisme de sa propre expérience opérationnelle antérieure, afin de quantifier la qualité des systèmes en essais et orienter les évolutions dans le sens requis par les opérations. Ainsi, le pilote d’essais mobilise dans son travail quotidien, d’une part les techniques d’essais apprises lors de son stage à l’EPNER, et d’autre part, sa propre culture et expérience opérationnelle de la mission, acquise dans la première partie de sa carrière. Ce métier est donc réservé à des pilotes déjà expérimentés, qui ont accumulé une expérience opérationnelle suffisante à mettre au profit du développement des aéronefs et systèmes du futur.

Au sein de l’équipage d’essais, l’ingénieur navigant forme donc avec le pilote un binôme complémentaire, dont la bonne coordination est essentielle à la réussite du vol.

Des IA brevetés personnels navigants d’essais ?

Même s’ils ne peuvent pas prétendre passer l’ensemble de leur carrière à DGA Essais en vol, quelques OCA ont tout de même la chance de pouvoir passer par l’EPNER, ou une école équivalente étrangère. En général ils suivent un stage de conducteur d’essais, même s’il est arrivé par le passé que quelques-uns suivent le cours de pilotes d’essais. Au-delà de leur période de service à DGA EV, cette formation leur permet d’utiliser l’expertise acquise pour rejoindre une équipe de programme à Balard. Il arrive aussi que certains continuent ce métier du côté de l’industrie, ou poursuivent des carrières plus atypiques (spationaute…). Mais tous font vivre la culture des essais en vol quel que soit leur organisme d’affectation.

Classement des vols d’essais

On distingue les vols d’ouverture de domaine, classés « A », qui consistent à faire voler l’aéronef là où il n’a jamais été, par exemple à des vitesse plus élevées, des altitudes jamais atteintes, avec un nouvel emport ayant une influence aérodynamique, etc., des autres vols d’essais, classés « B » : essais de mesures de performances, manœuvres dans un domaine déjà ouvert, essais de systèmes comme les radars, les capteurs optroniques, etc. Par ailleurs, les vols de réception, c’est à dire de vérification en sortie de chaîne de production neuve ou de maintenance, sont eux classés « R ».

Les règles de composition de l’équipage et de qualification des navigants sont bien sûr adaptées à la catégorie du vol.

D’autres spécialités

Sont également formés à l’EPNER les contrôleurs aériens d’essais et de réception, qualification unique au monde, qui sont les spécialistes de l’insertion des vols d’essais dans un espace aérien densément peuplé ; les mécaniciens navigant d’essais sont spécialisés dans les essais qui concernent les moteurs, les divers circuits, les soutes et leurs systèmes ; les expérimentateurs navigants d’essais, qui sont des conducteurs d’essais de niveau technicien ; et les parachutistes d’essais, en charge des essais qui font intervenir l’homme et la sécurité : parachutes, mais aussi évacuations rapides, matériel de sauvetage dans les sièges éjectables, aérolargages, etc.

Une coopération internationale ancrée dans la culture des essais en vol

Les quatre grandes écoles des essais en vol considérées comme les références occidentales dans le domaine sont :

- l’US Air Force Test Pilot School (Edwards AFB, USA)

- l’US Naval Test Pilot School (NAS Patuxent River, USA)

- l’Empire Test Pilot School britannique (Boscombe Down, Royaume-Uni)

- et l’EPNER (Istres, Bouches-du-Rhône, France).

Elles reconnaissent mutuellement les brevets délivrés.

Ainsi, sans nécessairement suivre les aléas de la coopération sur les programmes d’armement, Une relation forte et continue est maintenue entre ces quatre écoles occidentales. Ceci passe d’abord par l’échange de stagiaires : chaque année des français (dont parfois de chanceux OCA) partent à Edwards, Patuxent River, ou encore à Boscombe Down, pour y effectuer leur scolarité, tandis que les stagiaires de l’EPNER (parmi lesquels de non moins chanceux OCA) profitent de l’enrichissement apporté par la présence de pilotes et d’ingénieurs américains, britanniques, voire d’autres pays, venus se former en France.

« Une relation forte et continue est maintenue entre ces quatre écoles occidentales »

Cette coopération passe aussi par des prêts d’aéronefs (et d’instructeurs !) pour des évaluations d’aéronefs en cours de scolarité : l’occasion pour les stagiaires de se confronter à des appareils différents de la flotte de leur école d’origine.

Les programmes aéronautiques en coopération peuvent donc s’appuyer, pour leurs essais en vol, sur un vivier de navigants professionnels habitués à travailler ensemble, et déjà acculturés aux manières de faire de chacun, à commencer par la langue !

Une culture de la gestion du risque

L’un des traits communs entre ces quatre écoles est la manière de gérer le risque, qui occupe une bonne partie de la préparation des vols. Chaque organisme suit son processus, mais tous se ressemblent peu ou prou : d’abord, l’identification des dangers qui peuvent être soit spécifiques à l’essai, comme les vibrations excessives lors de l’accélération, soit liés simplement à la nature aérienne de l’activité (hors essais), comme le risque lié au vol en basse altitude ou au ravitaillement en vol.

Ensuite, des mesures de réduction du risque sont alors prises : manœuvre progressive, stratégie de sortie de manœuvre clairement rappelée, salle d’écoute en surveillance, etc. Les risques résiduels, c’est-à-dire après mesures d’atténuation, sont classés par gravité et par probabilité d’occurrence, afin de synthétiser la prise de risque et de la faire valider au bon niveau. Par ailleurs, une grande attention est portée à l’état de santé physique et psychique des navigants : c’est un point mesuré individuellement et abordé avant chaque vol.

Un avenir assuré, des transformations à venir

Forte de ses 75 ans d’expérience, l’EPNER ne manque pas de défis : d’abord, la poursuite de l’internationalisation et l’adaptation des formations au cadre européen. Ensuite, une mise à jour permanente des méthodes et de l’enseignement, en lien avec la réalité des essais au profit des programmes. Enfin, la construction de nouvelles formations, par exemple celle de conducteurs d’essais en vol de drones : le développement de ces vecteurs amène un besoin de standardisation, en lien avec les partenaires européens (ceux du programme Eurodrone notamment), de la formation des équipages en charge des essais de développement et d’évaluation des aéronefs pilotés à distance.

Exposition statique pour les 70 ans de l’EPNER (2016), représentative du panel des aéronefs passés et présents sur lesquels sont formés les stagiaires. Crédit photo DGA EV

 

    
Gautier Roux, Pilote d’essais, Marine nationale
Gautier ROUX (X03) a suivi une carrière de pilote de chasse dans l’aéronautique navale sur RAFALE. Il a été breveté pilote d’essais expérimental à l’EPNER en 2019 et est depuis affecté au CEPA/10S en tant que chef du détachement « chasse » d’Istres.
 

Auteur

Gautier Roux, Capitaine de frégate

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