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Démonstration d’un tir de Caesar, l’arme majeure de l’artillerie française
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28 mars 2023

L’EXPERTISE TECHNIQUE, UN SOCLE POUR RENDRE DES CHOSES POSSIBLES

C’est un temps de crise. C’est le propre des crises de prendre en défaut la robustesse des modèles et des acteurs ; chacun voit midi à sa porte et ne fournit les autres qu’une fois ses propres besoins satisfaits. Il ne reste alors qu’à faire son inventaire, et espérer y trouver les moyens et les compétences pour faire autrement, faire soi-même ou refaire ce qu’on a su faire mais que l’on a trouvé plus simple d’acheter. C’est recapitaliser pour retrouver liberté d’action et souveraineté.


Soyons lucides, les crises révèlent des faiblesses qui leur sont antérieures. Que dire de cet industriel qui a mis près d’un an à pouvoir répondre sérieusement lorsqu’on lui a demandé la liste de ses fournisseurs ? Aujourd’hui, des experts de la DGA examinent eux-mêmes les rangs 5,6,7 de notre BITD où sont enfouis des matériaux et des composants critiques.

A la fin des années 80, encore à l’école, j’avais la chance de croiser un délégué général pour l’armement devenu PDG d’un fleuron national. Un jour, il était plus souriant qu’à l’accoutumée : il avait visité une de ses unités et s’était rendu compte qu’elle devenait « un hall d’assemblage sans grande plus-value », au vu d’un critère qui suffisait à concrétiser son diagnostic : sa part propre tombait sous les 20%. Il venait de la vendre un bon prix « avant que cela ne soit visible ».

« SANS PLUS-VALUE, GUÈRE D’ISSUE »

35 ans plus tard, je disais à un industriel que son produit était trop cher (un prix à 6 chiffres). Il me lâche dans un moment de sincérité qu’il est « deux crans au-dessus du marché », mais qu’il n’y peut rien car sa part propre est à peine de 20% et il n’arrive plus à challenger ses fournisseurs de composants qui font la performance. Les mots de notre ancien délégué me sont revenus instantanément. Sans plus-value, guère d’issue, un titre d’ensemblier ou de maître d’œuvre n’en dispense pas.

Le fait d’être maître d’ouvrage non plus, d’autant que l’équation Etat = maître d’ouvrage = faire faire est trop simple. J’ai pu le vivre dans l’industrie, elle ne peut pas tout et j’avais besoin de moyens et d’expertise technique de la DGA en plus de sa légitimité à interfacer les acteurs. L’État n’échappe pas à un rôle de « maître d’œuvre de rang zéro » des programmes complexes et je me réjouis des mots du délégué général pour l’armement : un des axes de la DGA est d’équiper et soutenir de façon souveraine nos armées en assurant la maîtrise d’œuvre étatique des systèmes d’armes.

Qu’est-ce qu’un expert ?

« Expert » fait partie des mots à la définition changeante. Chaque organisation l’adapte à son contexte et sa perception peut fluctuer au sein même de son personnel.

L’expertise technique de la DGA, à l’image de son activité, est d’abord singulière par son très large spectre. Elle fait l’objet d’un suivi par sa direction technique qui anime une structure transverse, autour de dix pôles techniques recouvrant une vingtaine de métiers. Cette organisation, de prime abord complexe vue de l’extérieur, permet de concilier la distribution des ressources pour les besoins des programmes en même temps qu’une gestion personnalisée des compétences techniques.

L’état de l’art évolue également, de même que les besoins, c’est pourquoi la DGA mène régulièrement des consultations pour disposer d’une photographie à jour de son expertise technique et pour cerner l’état d’esprit de ses experts. Elles sont internes et/ou externes faisant alors appel aux armées, au monde académique et à des industriels, y compris hors Défense.

Ces consultations confirment la pertinence d’une gradation de l’expertise DGA sur plusieurs niveaux d’emploi : environ un millier d’emplois d’experts techniques (ET), dont un tiers d’experts techniques référents (ETR), enfin une cinquantaine de personnes sous deux appellations : une dizaine d’experts techniques de haut niveau (ETHN), et une quarantaine d’« experts E », distingués par un processus qualifiant proposé à des volontaires et soumis à un renouvellement tous les 6 ans.

Pour cela, il faut évidemment de l’expertise technique. La DGA a su en conserver un socle important dont elle fait des inventaires réguliers (voir encadré). Des invariants de ce socle méritent d’être rappelés : on ne nait pas expert technique, on le devient. Si quelques années à temps plein sur un sujet précis peuvent suffire, un haut niveau d’expertise s’inscrit dans le temps long, dix voire quinze ans. C’est l’accumulation de multiples compétences au cours d’expériences diversifiées dont une véritable expérience de terrain, que ce soit à la DGA, dans les services de soutien ou en entreprise. Une illustration de ce temps long est la compétition véritablement effrénée pour capter les compétences (des autres souvent) que se livrent en ce moment de nombreux acteurs pour leurs besoins immédiats.

Bien sûr, l’expertise technique de la DGA devra encore, toujours, s’adapter. Elle n’est d’ailleurs pas le fruit de sa seule direction technique qui en est plutôt son principal creuset à partir duquel elle irrigue le reste des structures. Des personnels suivent la qualité de la production des industriels dont ils connaissent le fonctionnement. D’autres sont capables, à pied d’ouvrage, de prédire la date exacte de sortie d’un navire de son chantier un ou deux ans plus tard. Dans les centres, tirer un missile sans paralyser le trafic aérien, ni qu’il retombe dans le domaine public, c’est fondamental pour l’entraînement de nos armées.

Le PR à DGA TT à Bourges

Le 27 octobre dernier, le chef de l’État, accompagné du délégué général pour l’armement, du chef d’état-major des Armées et du chef d’état-major de l’armée de Terre a pu visiter le site de DGA Techniques terrestres à Bourges, échanger avec les opérateurs techniques avant d’assister à un tir d’obus de 155 mm depuis un camion Caesar. DGA Techniques terrestres est le centre de référence pour l’architecture, l’expertise, la simulation et les essais de tous les systèmes terrestres et aéroterrestres (véhicules, armes, munitions de toutes les armées, robotique et mini drone). La DGA possède 10 centres d’expertise et d’essais répartis sur toute la France et dépositaires d’une expertise unique.

 

 

 

Parmi les enjeux majeurs de cette expertise technique dans la période qui s’est ouverte et qui va durer, il en est un que seuls les services de l’État peuvent traiter : desserrer l’étau des réglementations qui pèsent sur l’industrie, les solutions techniques, les calendriers, les coûts et l’exploitation des matériels. Il faut des règlementations, mais trop édictent des règles systématiques sans proportionnalité aux enjeux ni prise en compte des particularités de contexte. Des domaines réglementés (i.e. régis par des dispositions particulières, sécurité aéronautique, sécurité nautique, nucléaire, pyrotechnie…) mettent à l’honneur l’analyse de risque, d’autres l’envisagent. L’expertise s’y exprime pleinement : elle n’est pas qu’une somme de connaissances, mais la capacité à se confronter à des circonstances et des enjeux.

Il faut s’extraire de cette tendance de tout couvrir par des référentiels qui a envahi nombre de bureaux d’études, certains ayant même rajouté des règles internes pour une « qualité totale » et « l’absence de risque ». La conformité mène pourtant au confort puis au conformisme, ampute les performances et décourage l’ambition. Au contraire, l’expertise technique doit nourrir ce qui fera l’avantage opérationnel. La vraie performance est au-delà de l’horizon, on ne sait pas bien où, ni à quoi elle ressemble exactement. Il faut aller la chercher et rendre les choses possibles au-delà de règles qui ne balisent que ce qu’elles autorisent et qui existe certainement déjà.

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Christian Dugué, IGA

X85, il passe 9 ans à DGA Technique Hydrodynamique puis rejoint Naval Group en 2001 comme architecte d’ensemble du SNA type Suffren. De retour à la DGA début 2009 à la direction internationale, il devient fin 2011 responsable de pôle à la direction technique, en charge de l’autorité technique du domaine naval. En 2018, il est chargé de mission dissuasion puis inspecteur pour les constructions navales et pour la sécurité nucléaire.

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