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l'acte régalien
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28 mars 2023

RÉGULATION

La régulation, acte administratif par excellence, est-elle pour autant l’apanage des administrateurs ? Laisse-t-elle une place à l’ingénieur ?


Le juriste et le scientifique.

Certains d’entre nous ont eu de privilège de créer des règles. Tout au long de notre formation scientifique abstraite, nous avons rédigé des définitions, des propriétés, des propositions et des démonstrations avec rigueur et concision, en ne laissant place à aucune équivoque. La rédaction des textes de droit requiert des qualités similaires et révèle une proximité inattendue entre le scientifique et le juriste, entre l’ingénieur d’État et le conseiller d’État. De même que le raisonnement mathématique ne commence qu’à partir du moment où la craie crisse sur le tableau noir, de même on ne forge de nouvelles règles de droit que si l’on se risque à les écrire, jusqu’à ce que « ça tourne », expression déjà entendue dans les salles du Palais royal, et qui désigne un résultat qu’un mathématicien qualifierait d’« élégant ». Tout serait simple si le droit et la science se rencontraient parfaitement dans la rigueur des textes. Mais ce n’est pas le cas et l’art subtil de l’élaboration de la règle, ou du texte négocié, peut parfois reposer sur l’ambiguïté et la polysémie. Ce constat ouvre un vaste champ inhabituel mais fascinant pour l’esprit scientifique de l’ingénieur, qui doit admettre qu’une solution stable peut émerger d’un système logiquement inconsistant voire invalide et délibérément construit pour être imparfait.

Les Invalides, où est localisé le GIC

Le globe et le sceptre

Le jugement au regard de la règle requiert des qualités de décision, c’est-à-dire – paradoxalement – de conviction et d’acceptation de l’approximation. Qualités antinomiques de celles qui président à l’élaboration de la règle, elles sont celles que l’on attend du dirigeant qui assume ses responsabilités. Les métiers de régulation au sein de l’État consistent à autoriser, homologuer, labelliser. Il peut s’agir de sélectionner le titulaire d’un marché public, d’autoriser un investissement étranger, d’exercer le rôle d’autorité technique en homologuant un équipement ou de conférer à un matériel, à un système, à une prestation ou à une entreprise la reconnaissance étatique de certaines qualités. Prononcer l’aptitude d’un véhicule au roulage ou d’un équipement cryptographique à la protection du secret de la défense nationale sont des actes régaliens pour lesquels l’ingénieur doit apprécier le respect de certains critères dont la plupart ne sont pas simplement binaires. C’est là que se révèle l’art subtil de l’acte régalien, qui ne peut résulter ni de l’application automatique de règles ni d’un quelconque arbitraire.

L’ingénieur funambule.

La régulation est l’art de l’équilibriste qui doit trouver une voie juridiquement certaine, techniquement pertinente et politiquement convaincante, en composant entre plusieurs forces antagonistes. Dans les matières complexes auxquelles les ingénieurs de l’armement sont confrontés au cours de leur carrière, ceux-ci doivent faire le lien entre les contingences techniques ou opérationnelles et des principes supérieurs. Notre compétence, c’est de faire le pont entre un propos technologique abscons et ses conséquences stratégiques, par exemple entre une erreur minime d’implémentation au sein d’un protocole de communications électroniques et le risque de compromission d’informations touchant aux intérêts fondamentaux de la Nation. La régulation est une affaire d’impédance entre deux systèmes aux caractéristiques très différentes.

 

Nous sommes amenés à occuper des postes passionnants car ils sont riches de ces antagonismes : commander des hommes dans un établissement, au plus près de problématiques éminemment concrètes, tout en participant aux arbitrages de haut niveau dans les ors de la République, composer entre le temps long des programmes d’armement et l’immédiateté du politique, relier l’infiniment petit à l’infiniment grand, pour finalement réconcilier le raisonnement et l’intuition.

Photo de l auteur
 
Pascal Chauve, IGA, Directeur du groupement interministériel de contrôle

Après plusieurs postes dans le domaine de la cyberdéfense, au cabinet du ministre des armées, à la DGA pour piloter la formation et les écoles, puis en interministériel sur des questions de sécurité nationale, Pascal CHAUVE (X93 – doctorat) dirige un service chargé de centraliser les techniques de renseignement.

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