LE FEU ET LA GLACE
Forces Spéciales : derrière les mythes et les fantasmes, les hommes et les femmes qui les composent sont passionnés par leur métier. Avoir la chance d’évoluer au quotidien parmi eux est tout aussi passionnant.
Chez les FS, le culte de la mission est présent à tous les étages, de l’opérateur en groupe jusqu’au Général Commandant des Opérations Spéciales en passant par les chargés de la conduite des opérations, les chargés de la logistique ou les plus de 100 personnels qui traitent du capacitaire et de l’innovation au sein des FS avec qui j’évolue au quotidien.
Cette bonne centaine de personnel parmi les quelques 4500 qui composent les unités et états-majors FS témoignent de l’importance accordée aux équipements. Dans un milieu où le prix du sang est bien connu, il est acquis qu’un bon équipement sauve ou dit autrement, qu’il permet de mettre hors de combat avant d’être soi-même neutralisé. Cela reste la finalité de tout système d’arme, même si son horizon d’emploi est parfois lointain.
Sur tout système d’arme, un défaut se paie, par exemple, les choix de conception des T72 soviétiques(1) ont coûté la vie à de nombreux irakiens pendant la 1ère guerre du Golfe et à de nombreux russes et ukrainiens depuis février.
Les projets pour les FS sont généralement réalisés plus rapidement, les boucles de décision et de conception sont plus courtes, la finalité du travail quotidien est plus perceptible et facilite donc une implication quotidienne forte.
Comme les hommes et les femmes qui les portent, les projets ont très souvent un ancrage très prégnant dans la réalité opérationnelle. Deux exemples m’ont marqué.
Un projet sur une arme de tireur d’élite présenté à l’AID où mon aval était demandé, projet que je comprenais mal et qui me semblait compliqué du point de vue technico-économique dans la durée. En en discutant avec un de mes collègues, celui-ci m’explique que l’innovation découle d’une opération ayant entraîné des morts au combat. L’armement proposé permettrait d’autres modes d’action permettant de diminuer les risques pris par les opérateurs.
Le 18 janvier 2022, quatre opérateurs en véhicule léger sautent sur un IED pendant qu’ils reconnaissaient une piste sommaire pour un poser d’assaut. Quelques mois plus tard, en coordination avec l’AID, la DGA, la STAT et le CEAM, le COS a organisé des expérimentations dans une unités FS, il s’en est suivi trois projets labellisés par l’AID. Plusieurs solutions proposées étaient issues des veilles technologiques des bureaux innovation FS.
La majorité des personnels du milieu capacitaire/innovation continue à partir en mission sur les Task Forces du COS, ils ne sont évidemment plus en groupe action mais arment différents postes des Centres Opérations. Par ailleurs, au sein de leurs unités/régiments ils sont les interlocuteurs identifiés et privilégiés des très nombreux opérateurs qui ont des suggestions d’amélioration et dont les idées foisonnent. L’ancrage dans la réalité des opérations est donc fort avec toujours en ligne de mire, l’appui des opérateurs dans la réalisation de leurs missions.
Les Opérations Spéciales couvrant un large spectre de missions, elles nécessitent une gamme d’équipements très variée et opérant dans tous les milieux, voire tous les champs. Les idées et les projets sont donc très nombreux. Comme partout, les moyens RH et financiers ne permettent malheureusement pas de tout traiter. Face au feu passionné des idées émergeant de toute part, mon rôle est parfois d’être la glace pour n’appuyer que les projets les plus réalisables ou avec la meilleure plus-value. Rôle régulièrement frustrant car il faut parfois évincer des projets pour des mauvaises raisons : on perçoit par exemple que le risque contractuel ou technique ne sera assumé par aucune personne ou organisme.
Prendre un poste pour les forces spéciales
Les bureaux équipements et prospectives qui gèrent le capacitaire et l’innovation au sein des régiments et unités FS, accueillent régulièrement des IA lors du stage de FAMIA. En 2022 c’est même 8 d’entre eux qui ont pu découvrir cet environnement dans les différentes unités.
En échangeant avec les jeunes IA à la fin de leur stage, j’ai perçu un réel intérêt pour eux d’avoir découvert le monde FS. Du point de vue des unités et de l’état-major, les IA ont apporté beaucoup pendant ces quelques mois de stage, par leur enthousiasme et leur culture d’ingénieur notamment. Pour certains, ils ont été de véritables adjoints de bureau, quand on connait l’exigence permanente chez les FS, c’est à souligner.
Cet enthousiasme chez des ingénieurs se provoque plutôt facilement. Voir et comprendre la finalité d’un équipement permet d’apprécier l’intérêt du travail effectué ou à produire.
Cet intérêt mutuel souligne le lien utile et vertueux à faire dialoguer ingénieur et opérateur. En particulier pour les ingénieurs qui peuvent ainsi mieux percevoir la finalité de leur travail au quotidien et fournir une source de motivation.
De manière surprenante, alors que tous ont l’habitude de suivre des cadres d’ordre pour les opérations, s’agissant d’équipement il faut régulièrement leur rappeler qu’il y a certaines procédures et règles à respecter. Plus pragmatiquement, il faut identifier les projets qui ont des enjeux suffisamment forts pour justifier des adaptations aux processus classiques et identifier ceux où il faut rester dans le rang.
« FAILLIR À AIDER UN DE SES FRÈRES D’ARMES N’EST PAS UNE OPTION »
Les Forces Spéciales restent surtout et avant tout une histoire d’hommes. La majorité de mes interlocuteurs au sein des FS sont d’anciens opérateurs, ils ont appris à s’investir totalement et pleinement pour le succès de leurs missions et principalement pour leurs camarades. Faillir à aider un de ses frères d’arme n’est pas une option. Cette exigence et cette volonté de réussir leur mission restent gravées en eux. La mission doit primer, s’il y a des obstacles il faut trouver comment les contourner ou manœuvrer avec, s’il y a des risques à prendre qui se justifient, il faut les prendre. Ils cherchent toujours des solutions, jamais des excuses.
« UN CAPORAL-CHEF […] POURRA EXPRIMER SON AVIS TECHNIQUE JUSQU’AU NIVEAU DE SON COMTF »
L’acceptation du risque est inhérente au métier des armes, chez les FS, le risque pris par les opérateurs à chaque mission reste à l’esprit de la chaîne de commandement. Cela permet un dialogue libre et franc quel que soit le grade. Un caporal-chef, chef de binôme Tireur d’Elite pourra exprimer son avis technique jusqu’au niveau de son Commandant de Task Force, un colonel, pour apporter une plus-value au concept d’opération en cours de préparation. S’il fait une contreproposition à ses supérieurs, aucun reproche ne lui sera adressé.
Les FS sont des interlocuteurs parfois cash et abrasifs, souvent bons vivants et taquins mais toujours investis et pragmatiques. Dans ce milieu, impossible de rester de glace face à ces hommes et ces femmes qui ont la flamme de servir.
1 : https ://www.washingtonpost.com/world/2022/04/30/russian-tank-turret-blast-jack-in-the-box/
2016 : Chargé d’Expertise et d’Evaluation de systèmes de missile à DGA MI
2020 : Bureau Capacité Innovation du COS
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.