SAVIEZ-VOUS QUE L’ÉTAT PRATIQUAIT LA CHASSE AU RENARD ?
JOUR APRÈS JOUR, LA POLICE DES ONDES PROTEGE LE SPECTRE
Samedi 2 novembre 2019. La DGAC, puis l’armée de l’air, signalent à l’ANFR (Agence Nationale des FRéquences) un brouillage de grande ampleur impactant les signaux GPS sur les aéroports de Nice et de Hyères, et aussi en altitude sur l’espace aérien de Nice à Montélimar. Une action coordonnée des services de l’État (ANFR, DGGN, DGAC) permet d’identifier rapidement l’origine de la source de brouillage dans le port de La Ciotat : un yacht qui avait mis en œuvre sans autorisation un brouilleur GPS intégré à un système anti-drones. L’impact potentiel de tels systèmes sur l’espace aérien est important.
Revenons quelques années en arrière, le 24 septembre 2012
A Port-en-Bessin dans le Calvados, un contrôleur de l’ANFR réalise la visite de sécurité radioélectrique périodique du chalutier « THE ROLLING STONES ». Il constate un dysfonctionnement de la Radiobalise de Localisation des Sinistres (RLS), un transmetteur qui émet un signal dans les bandes de fréquences :
- 406 MHz pour donner l’emplacement d’un navire en détresse aux services de secours via des réseaux satellites ;
- 121,5 MHz pour permettre aux moyens de secours de le rejoindre par radio-ralliement.
Le débarquement de la RLS est demandé pour remise en état immédiate. Le 25 septembre, la contre-visite permet de constater que l’antenne a été remplacée et que le système fonctionne, le navire peut donc reprendre son activité.
Dimanche 22 juin 2014 à 3h22, le CROSS Jobourg reçoit le signal de détresse de la RLS d’un navire de pêche sur la fréquence 406 MHz. Le message transmis permet d’identifier le navire grâce à la base de données RADIOMAR gérée par l’ANFR. Il s’agit du « THE ROLLING STONES » qui vient d’enfourner un bloc rocheux à 6 milles au large et est en train de sombrer. Les tentatives de contact en VHF avec le navire s’avérant sans résultat, c’est en se basant uniquement sur les signaux émis sur 406 et 121,5 MHz que le navire est alors localisé, permettant à une vedette SNSM de récupérer l’équipage du navire à 3h53. Sans le contrôle de l’ANFR en 2012, le défaut du moyen d’alerte de détresse n’aurait pas été détecté et le navire n’aurait pu être localisé rapidement par les secours. Or la réactivité du déclenchement du dispositif d’intervention est essentielle dans le sauvetage en mer.
Cet épisode montre l’importance pour la sécurité en mer que revêt le contrôle par l’État du fonctionnement des stations radioélectriques embarquées à bord des navires.
« The Rolling Stones », chalutier de fond coquillier de 10m, en 2012.
Le spectre des ondes radio, un bien immatériel si indispensable …mais il y a du monde en ligne !
Au-delà de ces 2 exemples, il est clair que le spectre des ondes radio est une ressource indispensable à notre vie quotidienne… mais aussi âprement convoitée par de nombreux utilisateurs. Pour une permettre une cohabitation harmonieuse dans cet espace limité, des réglementations et des normes internationales et nationales ont été élaborées. En France, les services radioélectriques sont attribués par voie règlementaire à des affectataires qui ont en charge de gérer les bandes de fréquences sous leur responsabilité : l’Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste (ARCEP), l’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), le ministère des armées, le ministère de l’intérieur, le ministère de la recherche, l’aviation civile, le CNES, Météo France, l’Administration des Ports et de la Navigation Maritime et Fluviale.
L’Agence Nationale des Fréquences (ANFR), gardienne du spectre
Pour faire face au défi d’assurer aux usagers des fréquences un usage normal du spectre, l’État a créé il y a 25 ans un opérateur public, l’ANFR, qui remplit 3 rôles essentiels :
- planifier le spectre
- gérer les fréquences
- faire la police du spectre
Le spectre radiofréquence est l’ensemble des fréquences comprises entre 9 kHz et 300 GHz. Cette ressource stratégique est invisible, immatérielle et rare. Elle est partagée entre de nombreux utilisateurs : radiodiffusion, radiorepérage terrestre (services de localisation), radionavigation, stations expérimentales (recherche), radioastronomie, etc.
Une police des fréquences, pour quoi faire ?
Il n’est pas rare que les affectataires soient empêchés d’utiliser leurs fréquences à cause de phénomènes de brouillage… Qu’ils soient volontaires ou non, ceuxci empêchent toute émission/réception dans une gamme de fréquences, ce qui peut avoir des conséquences graves mettant en danger des vies humaines. Les brouilleurs de téléphonie mobile peuvent ainsi empêcher l’alerte du personnel des services d’urgence.
Les brouillages sont aussi graves que des cyber-attaques.
Depuis 2 ans les signalements de brouillage ont augmenté de 50%. Les infractions au spectre, volontaires ou non, se multiplient dans un contexte d’encombrement croissant des fréquences. Chaque jour, en moyenne 5 brouillages sont signalés par les affectataires de fréquences et les opérateurs de téléphonie mobile. Le développement progressif de la 5G va encore accentuer la situation.
L’ANFR agit au quotidien pour protéger les usagers du spectre en identifiant les sources de brouillages, grâce à des moyens techniques adaptés. Un réseau de stations de contrôle fixes est déployé en métropole. Des véhicules équipés de radiogoniomètres sillonnent tous les jours les routes de France pour contrôler l’utilisation du spectre et détecter les émissions non autorisées. Lors des grandes compétitions sportives, du Tour de France à Roland Garros en passant par les 24h du Mans, des récepteurs de radiolocalisation hyperbolique par TDOA (time difference of arrival) sont également installés. Pour le contrôle des radiocommunications spatiales et le traitement de brouillages affectant des systèmes satellites, la France a un accord avec l’Allemagne pour bénéficier d’un accès à la station de contrôle satellite de Leeheim, près de Francfort.
Ces moyens de détection permettent aux équipes d’intervention de localiser les interférences signalées sur toutes les bandes de fréquences. C’est ce que nous appelons dans notre jargon la chasse au renard.
Les IA au service de la population
Les IA en poste à l’ANFR peuvent travailler dans un service public performant et en charge de missions opérationnelles en lui faisant bénéficier des compétences acquises à la DGA. En voici quelques illustrations concrètes issues de mon expérience comme directeur du contrôle du spectre :
1) approche globale ou par capacités plutôt que par équipements : un IA raisonne instinctivement en termes de capacités ou de systèmes plutôt que par équipements. Cette vision d’ensemble me permet d’appréhender le système de contrôle du spectre comme un système global réalisant des fonctions opérationnelles. De plus, l’habitude de penser d’abord besoin, puis solutions, en comparant toujours les différentes alternatives et non pas en partant sur une solution toute faite, est aussi un atout majeur.
2) traitement des affaires en mode projet (notamment gestion systématique par calendrier directeur et par portefeuille de risques) : il permet d’avancer efficacement en disciplinant tous les acteurs et en créant une dynamique allant au-delà de la seule annualité budgétaire : respect des jalons, vigilance quant aux évolutions qui peuvent faire déraper un projet.
3) passion du concret et pas uniquement du conceptuel : les ingénieurs de l’armement savent délivrer des matériels fonctionnels et fiables une fois déployés sur le terrain.
4) management des équipes sans fioritures : tous ceux d’entre nous qui ont dirigé des équipes, que ce soit comme manager d’opération, responsable d’un atelier en AIA ou d’un département d’un centre à la DT se reconnaîtront. Savoir parler aux opérateurs dans un langage clair et franc, sans faux-fuyants, en allant droit à l’essentiel, permet de créer tout de suite la confiance, une des clefs de la réussite collective.
Garantir à la population de pouvoir téléphoner dans les zones de couverture radio sans être brouillé, protéger mes réseaux de sécurité, telles sont les missions au quotidien de l’ANFR, auxquelles les IA contribuent. …
Il débute à la DGA par des postes techniques, puis de manager d’opérations d’armement terrestre avant de devenir responsable au ministère de l’industrie des aides aux semiconducteurs, puis en DREAL des contrôles techniques et du nucléaire. Il exerce ensuite des fonctions dans la maintenance à la SNCF en centre TGV, au SIAé et à la DMAé.
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