UN PARCOURS INTERNATIONAL À LA DGA
La DGA propose des postes à l’étranger et d’autres en France tournés vers l’international. Certains choisissent d’y faire carrière, c’est le cas de Cyril Crozes.
L’international, je suis pour ainsi dire tombé dedans étant petit : mon père a fait le choix de partir travailler dans le privé au Ghana au milieu des années 60, l’expatriation étant à l’époque une vraie aventure, pour faire finalement carrière dans la diplomatie économique. J’ai donc passé toute ma jeunesse à l’étranger à découvrir différents continents et des cultures variées, avant de revenir en France un bac gabonais en poche pour mes études supérieures.
Le gout pour l’international ne m’a jamais quitté depuis, et c’est donc assez naturellement que j’ai cherché tout au long de ma carrière à cultiver ce virus tenace. Même si la DGA ne semble pas se prêter de prime abord à une carrière internationale, les opportunités ne manquent pas.
Une carrière toujours teintée d’international
Pour faire simple, mon parcours se découpe en trois blocs successifs avec un fil rouge international
J’ai fait mes premières armes dans la région toulonnaise au sein de ce qui s’appelait à l’époque le centre d’essais de la Méditerranée, aujourd’hui DGA essais de missiles à la direction technique. En complément de ses clients habituels, les forces armées et les directions de programmes, le centre proposait ses services pour la réalisation d’essais de qualification complexes à des clients étrangers que ce soit dans le cadre de projet en coopération conduits avec la France (missiles MILAS, torpille MU90, …) ou pour les besoins propres de ces pays (missile norvégien NSM, système PAAMS/S des destroyers Type 45 britanniques).
J’ai ensuite œuvré dans le management de programme aux côtés de l’Italie et du Royaume-Uni pour le développement, la qualification et la production des systèmes à base du missile Aster, d’abord au sein du bureau de programme trilatéral PAAMS, puis de la division de programme FSAF(1) de l’OCCAr(2).
Enfin, j’ai entamé une séquence centrée sur les relations internationales : attaché d’armement à l’ambassade de France à Rome, puis responsable des affaires multilatérales UEOTAN au sein de la feue direction de la stratégie ; sous-directeur adjoint pour l’Amérique du Nord est l’Europe occidentale et sous-directeur pour l’Asie-Pacifique à la direction du développement international, avec une petite excursion d’une année entre les deux comme directeur adjoint des programmes navals (car l’on m’avait signifié que j’avais fait trop d’international et que je devais retourner dans le cœur de métier).
J’entame depuis peu une nouvelle phase interministérielle au SGDSN, où les occasions d’interaction avec des partenaires étrangers sont assez nombreuses.
Que retenir, en lien avec sa composante internationale, de ce parcours somme toute assez classique ? En voici quelques coups de projecteur sur certaines facettes.
Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare je me console
Une chose qui m’a marqué au cours de mes contacts avec l’étranger, c’est la force d’une organisation comme la DGA et la capacité de la France à faire équipe.
LA DGA, UN EXEMPLE SUIVI
Parmi les partenaires de la France qui se sont inspirés de la DGA, on trouve par exemple proche de nous la DiGAM(3) espagnole ou SEGREDIFESA(4) en Italie, mais d’autres partenaires plus lointains n’ont pas caché avoir repris notre modèle : la DSTA(5) à Singapour, l’ATLA(6) au Japon ou la DAPA(7) coréenne, et un début de tentative avec DTI(8) en Thaïlande.
De nombreux partenaires de la France se sont inspirés pour partie (cf. encart pour ceux avec lesquels j’ai travaillé) du modèle de la DGA, administration pourtant souvent attaquée en France même, pour constituer leur entité d’acquisition d’équipements de défense. La DGA rassemble en effet différentes particularités que l’on ne retrouve pas ailleurs dans une unique organisation, qui sont des points de force et qui intéressent nos partenaires : des corps spécifiques d’ingénieurs militaires qui constituent l’ossature de l’organisation et qui acquièrent au fil des postes une expertise complète en matière de conduite et contractualisation de programmes d’armements, une seule entité au service de l’ensemble des forces armées, un socle d’expertise et de capacités d’essais complexes permettant de challenger les industriels et de vérifier la performances des systèmes, la couverture de l’ensemble du cycle des programmes depuis l’innovation jusqu’au retrait en service.
Quant à la capacité de la France à faire équipe et défendre ses intérêts, cela peut nous paraître contrintuitif tant le « Français » – qui est pourtant souvent taxé d’arrogance à l’étranger - aime à se décrier et n’est pas éduqué à l’anglo-saxonne dans un esprit de confiance absolue (et excessive) en soi. J’ai cependant noté à de nombreuses reprises que ce sont nos partenaires qui nous en parlent avec une certaine admiration et jalousie. Ils soulignent la cohérence et la force de notre positionnement interministériel, mais également notre force de frappe conjointe entre nos industriels et nos administrations, et s’en inspirent.
Seul je vais plus vite, ensemble on va plus loin
De manière volontairement caricaturale et provocatrice, j’ai souvent souligné le penchant autiste de la DGA, née pour la dissuasion et pas toujours très ouverte aux autres. Et même, s’il bénéficie d’un métier dédié « affaires internationales », l’international ne fait pas forcément l’objet d’une forte reconnaissance interne au sein de la DGA, contrairement aux forces armées. Pourtant l’international s’impose à nous, que ce soit en matière de programmes en coopération ou d’exportations.
Rencontre avec le Vice-Amiral G Ashok Kumar, Vice-Chief of Naval Staff indien.
New-Delhi – 31 janvier 2019
Ce sont des lieux communs rabâchés moult fois, mais la coopération, malgré tous ses écueils (obligation du compromis, complexification, surcoûts du non récurrent, allongement des délais, captation de savoirs et savoir-faire) permet de financer des capacités que le budget national seul ne permettrait pas de couvrir. Chaque partenaire de coopération est différent …, et il n’est simple de travailler avec aucun. Mais selon sa culture, certains peuvent sembler plus agréables que d’autres. Pour avoir pu travailler avec plusieurs Nations, je dois avouer que mon affection va prioritairement aux Italiens – mon passage à Rome ne vous aura pas échappé – pour lesquels la parole donnée garde une valeur certaine et qui ont cette surprenante capacité à retomber in fine sur leurs pattes, après des « tutto va bene » plus inquiétants qu’autre chose. Je rappelle souvent aux plus sceptiques le nombre de programmes en coopération conduits avec succès avec l’Italie, ce qui n’est pas forcément le cas d’autres partenaires plus souvent mis en avant ces derniers temps : frégates Horizon et FREMM, systèmes de missiles Aster, torpille légère MU90, satellite de télécommunication, etc.
Par ailleurs, l’export est vital pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD). Il assure pour près de 50% de son chiffre d’affaire et des marges plus importantes sur des séries allongées, permettant d’amortir l’outil de production et alimenter les bureaux d’études pour préserver les compétences. Mon expérience de soutien aux exportations (SOUTEX) a principalement concerné la zone Asie-Pacifique lorsque j’étais sous-directeur, poste qui a été marqué par de très nombreuses missions – certaines assez surréalistes au beau milieu de la crise Covid-19 –, représentant environ 1000 heures passées dans des avions et 150 vols, des rencontres avec les plus hautes autorités civiles et militaires de nos partenaires, plusieurs salons d’armement et séminaires d’accompagnement des PME françaises, des décalages horaires allant jusqu’à 12 heures. Pas de tout repos et malheureusement bien peu de temps libre pour découvrir de magnifiques destinations, mais un travail passionnant, sur le temps long, avec de nombreuses satisfactions (livraison des Rafale et admission au service actif des sous-marins Scorpène en Inde, ouverture de domaine au Bangladesh avec des radars GM400 et des ponts flottants motorisés, Rafale indonésiens, …) et des moments plus critiques (abandon australien des hélicoptères Tigre et du projet de sous-marins FSP).
Qui ne dit mot consent et les absents ont toujours tort
C’est également sur le volet multilatéral, et tout particulièrement européen, que nous nous devons d’être présents et actifs. L’Europe avance à la manière d’un rouleau compresseur, et comme toute organisation vivante, elle cherche à croitre et s’imposer. Lorsque je me suis occupé de coopération UE-OTAN, la défense était un tabou dans le cadre communautaire européen, son financement inimaginable, et l’autonomie stratégique un gros mot. A peine dix ans après le paysage a fortement changé : la Commission européenne s’est dotée d’une direction générale de l’industrie de défense et de l’espace, dirigée par le français Thierry Breton, un fonds européen de défense de 8 Md€ sur le cadre financier pluriannuel 2021 - 2027 a vu le jour, et la facilité européenne pour la paix a été abondé de plusieurs milliards pour soutenir l’Ukraine. Que de chemin parcouru, dont on peut se réjouir, mais il y a un revers de la médaille.
Rencontre avec l’Honorable Tan Sri Dato’ Seri Hj Affendi bin Buang, chef d’état-major de l’Armée de l’air malaisienne Kuala Lumpur – 20 septembre 2018
Il faut une implication sans faille et une vigilance permanente pour préserver notre souveraineté nationale dans les domaines où l’on estime le communautaire non légitime, comme le contrôle export de matériel de guerre, et pour préserver notre BITD qui fait face à des initiatives qui pourraient lui être délétères si mal maitrisées (taxonomie environnementale, taxonomie sociale, ecolabel, directive CSRD(9), …) en minant leur capacité à accéder à des financements. L’importance de la concertation interministérielle et la coordination avec les fédérations industrielles de défense prend alors tout son sens, de même que la capacité de la France à constituer des groupes de pays « like minded », au-delà du cercle des pays de la Letter of Intent, pour défendre nos positions face à une Commission expansionniste. Après l’avoir vécu au sein de la DGA, c’est dorénavant au SGDSN que je m’attelle, entre autres choses, à ce combat.
Le syndrome de Stockholm
A titre plus personnel, je crois avoir acquis au travers de mon expérience internationale une grande tolérance et ouverture d’esprit, une analyse critique constructive de nos déficiences sur la base du benchmarking de ce qui se fait dans d’autres pays, une capacité de compréhension et d’anticipation des attentes parfois non exprimées clairement de nos partenaires, pour mieux les « traduire » et les expliciter en interne … tout en évitant le procès en « Stockholmisation » auxquels les artisans de la coopération internationale font parfois face.
1 : Famille des Surface-Air Futurs
2 : Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement
3 : Dirección General de Armamento y Material (Direction générale de l’armement et de l’équipement)
4 : Segretariato Generale de la Difesa (Secrétariat général de la Défense)
5 : Defence Science and Technology Agency (Agence de la science et de la technologie de Défense)
6 : Acquisition, Technology & Logistics Agency (Agence de l’acquisition, la technologie et la logistique)
7 : Defense Acquisition Program Administration (Administration d’acquisition des programmes de Défense)
8 : Defense Technology Institute (Institut de technologie de Défense)
9 : Corporate Sustainability Reporting Directive
Après un début dans les essais et les programmes de missiles tactiques, il est nommé attaché d’armement à Rome. De retour à la DGA, il est responsable des relations multilatérales et avec nos partenaires occidentaux, puis des programmes navals, et enfin de la coopération avec l’Asie-Pacifique.
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