LES ESSAIS DES HÉLICOPTÈRES EN COOPÉRATION INTERNATIONALE L’EXEMPLE DU NH 90
Dans le cadre du développement d’un programme d’armement en coopération internationale, la gestion coordonnée des essais est cruciale. Elle doit être réfléchie dès l’orientation du projet, car la stratégie adoptée sera déterminante à long terme sur les trois aspects chers aux directeurs de programmes : coûts, délais et performance. Cet article a pour but d’illustrer cette problématique en présentant les choix faits pour le NH 90.
Une technologie complexe et de nombreux acteurs
Le NH90 est l’un des hélicoptères militaires les plus récents sur le marché. Il bénéficie de nombreux systèmes de nouvelle génération permettant aux différentes armées de mener à bien leurs missions : transport de troupes et matériels, guerre antisurface et sousmarine, contre-terrorisme maritime notamment. Initié au début des années 90 avec pour objectif une coopération industrielle et étatique européenne, il a rapidement été clair qu’une entité dédiée à la gestion du programme devait être mise en place. La NAHEMA – NATO Helicopter Management Agency – a donc été créée en 1992 au profit de l’Allemagne, la France, l’Italie, et les Pays-Bas. Un consortium industriel, NHIndustries, a été mis en place en miroir, en fédérant les partenaires de production : Airbus/helicopters (France et Allemagne), Leonardo (Italie) et Fokker (Pays-Bas).
A ces particularités partenariales et technologiques vient s’ajouter la multiplicité des configurations : équipements, armements, radios, et autres options. La différenciation des besoins entre Marine et armée de Terre est un premier passage obligé, mais les 13 nations clientes ont aussi exprimé des exigences propres, ce qui aboutit aujourd’hui à une vingtaine de variantes, chacune affectée de plusieurs standards, fruits des développements et améliorations successifs depuis la sortie d’usine des premiers hélicoptères.
Si diviser les coûts peut sembler compliqué, partager les responsabilités est alors un véritable défi. Même dans le cadre d’un partenariat sain et durable, déléguer tout ou partie de la mesure de performance d’un aéronef militaire peut être vu comme une remise en cause de sa souveraineté de défense. Ceci est particulièrement vrai dans les pays en pointe sur beaucoup de secteurs technologiques, et habitués à la maîtrise de la totalité de leurs chaînes militaro-industrielles.
Un aéronef est certifié lorsque sa conformité à toutes les exigences de sécurité a été démontrée. En Europe, ces exigences et les moyens de démonstration, comme les essais à effectuer, sont listées par les Certification Spécifications, documents applicables aux aéronefs civils et gérés par l’EASA (European Aviation Safety Agency). |
La nécessité des processus
C’est dans ce contexte que la NAHEMA et les directions de programme nationales ont décidé de processus communs. Approuvés par tous les partenaires et basés sur les reconnaissances mutuelles d’approbations techniques, ils officialisent les rôles de chacun et permettent de garantir la qualité et l’unicité des décisions. Les quatre nations fondatrices – Allemagne, France, Italie, Pays-Bas – sont ainsi respectivement responsables d’une partie de l’hélicoptère qui correspond à l’implication de l’industriel implanté sur son sol. Elles sont chargées de vérifier et approuver les développements et modifications qui leur incombent, charge à NAHEMA de mettre au point les contrats, coordonner les calendriers, provoquer les harmonisations et concertations nécessaires puis regrouper les décisions nationales pour aboutir à une approbation globale.
Une entité chargée de participer aux essais et de produire les avis techniques associés a aussi été créée par NAHEMA: le Test Coordination Group. Il regroupe des experts des nations fondatrices, et a pour but de conseiller les pays clients et NAHEMA par un avis technique unique harmonisé. Ces avis prenant la forme de recommandations et non d’approbations, la souveraineté des nations est systématiquement respectée. Côté performance, le TCG a donc la capacité de mobiliser les compétences et expériences d’une équipe plurinationale afin de rendre son avis plus robuste, et garantir l’utilisation des moyens les plus adéquats, tout en étant un référent unique en cas de litige avec l’industriel. Les maîtrises des coûts et délais sont eux assurés par la légitimité auprès de toutes les nations, ce qui évite l’organisation de campagnes d’essai identiques au profit de clients différents.
La coopération internationale permet notamment de baisser le coût d’un programme grâce à un double effet : la multiplication des commandes qui font baisser le coût unitaire des machines produites, et le partage des crédits de développement entre les nations partenaires. Si l’industrie est maîtresse de l’optimisation des chaînes de production et d’approvisionnement qui sont clefs pour le coût unitaire, un traitement judicieux des phases d’essai abaissera le coût de développement mais aussi le nombre et la gravité des problèmes techniques rencontrés lors de la mise en service. |
L’intégration des services officiels dans les activités industrielles
Une fois cette entité technique créée, il restait à déterminer la méthode de vérification. Étant entendu qu’aucune nation n’a les moyens ou la volonté de participer à l’intégralité des essais entrepris par l’industrie, on peut noter que trois stratégies principales existent actuellement. La première consiste à effectuer une partie des essais en lieu et place de l’industriel, la proportion et le contenu de ceux-ci étant identifiés contractuellement. Elle a pour avantage de voir l’aéronef à différentes étapes du développement, et ce de manière très précise sur les systèmes et fonctions testés par les nations. L’inconvénient est de n’avoir que très peu de visibilité sur les essais de responsabilité industrielle : le partage doit donc être bien réfléchi.
La deuxième prévoit une période unique d’essais lorsque l’industrie considère son produit mature et a fini ses propres vérifications. Elle a pour avantage de permettre une vision exhaustive du produit final, et pour inconvénient d’arriver tardivement dans le processus de développement ce qui augmente considérablement les risques calendaires, et limite les possibilités de réorientation technique.
La troisième prévoit des périodes d’évaluation intermédiaire à différents stades du développement, lorsque certains systèmes sont prêts à être testés mais que la machine n’est pas finalisée dans son ensemble. Cette stratégie semble par certains égards comme la plus équilibrée. D’une part elle intervient tardivement mais encore assez tôt pour changer certaines définitions. D’autre part même si l’exhaustivité des essais est impossible puisque la machine n’est pas terminée, elle permet de ne rien exclure a priori du périmètre technique. C’est celle-ci qui est généralement appliquée au NH 90, ce qui fut notamment le cas lors des essais de son dernier standard en 2015 et 2016, la MR1 – Maintenance Release 1 – dont les variantes françaises commenceront à bénéficier cet été. Loin de vouloir montrer le NH 90 en exemple, les détails exposés ici montrent que les choix effectués il y a vingt ans ont des conséquences sur les essais d’aujourd’hui. Il convient donc de les peser sur le long terme, car tout changement contractuel dans une coopération internationale et dans un contexte industriel et technologique complexe est souvent difficile voire impossible.
Thomas Pagès, IPA | |
Diplômé de l’École Polytechnique et titulaire du brevet de pilote de chasse, Thomas Pagès rejoint DGA Essais en vol en 2009. Successivement responsable d’essais sur simulateur Tigre puis sur les ouvertures de domaine des hélicoptères, il devient en 2014 Architecte Essais Évaluations Expertise et Test Coordination Group Chairman du NH 90. |
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