QUAND EOLE RENCONTRE POSEIDON : LA NAVALISATION DES VOILURES TOURNANTES
Poser un hélicoptère de plusieurs tonnes sur un bateau au milieu d’une mer agitée n’est pas un sport de masse. Pourtant la navalisation – capacité à être opéré depuis un bateau – est indispensable pour les appareils des trois armées. La démonstration de cette capacité techniquement complexe, sans équivalent civil et impliquant de nombreux acteurs est un domaine dans lequel la DGA a naturellement un rôle central.
Démontrer la capacité d’un hélicoptère à être embarqué sur un bâtiment peut rapidement s’apparenter à un nœud gordien pour l’industriel et pour les équipes techniques de la DGA. En effet, le spectre des points à vérifier pour garantir la sécurité des biens et des personnes est particulièrement large : tenue structurale à l’appontage, pilotabilité de l’appareil dans l’aérologie du bateau, compatibilité électromagnétique et champs forts…
C’est sans compter l’ajout d’aspects pratiques comme le tractage sur le pont, le saisinage, la faisabilité des actions de maintenance dans un hangar.
Dès lors, comment démontrer l’aptitude de l’hélicoptère à l’embarquement ?
Il paraît difficilement envisageable de réaliser tous les essais sur tous les types de bâtiments de la Marine avant la qualification de l’hélicoptère. Il est donc primordial de déterminer les données physiques dimensionnantes pour construire les exigences à faire porter intrinsèquement par l’aéronef et qui doivent être prises en compte lors de la conception.
En appliquant cette méthodologie, les essais d’ouverture de domaine s’attacheront, en phase de qualification, à rechercher les limites physiques de l’hélicoptère en essayant de « gommer » les spécificités du bâtiment sur lequel ils sont réalisés. Ils précèdent les essais d’homologation qui, à l’intérieur des limites définies en amont, les réduisent pour prendre en compte les spécificités de chaque bateau (aérologie, repères visuels, vol de nuit).
L’un de mes meilleurs souvenirs comme ingénieur navigant d’essais sera très certainement la campagne d’ouverture de domaine sur Tigre réalisée par DGA EV en 2015 et dont j’ai eu la chance d’être le responsable technique. L’objectif était de déterminer l’ensemble des conditions (vent, pression, température) permettant de maximiser la masse au décollage – paramètre opérationnellement critique –. La démarche adoptée permettait d’offrir le domaine répondant au maximum au besoin de l’ALAT. Réalisée sur Bâtiment de Projection et Commandement (BPC), la campagne permit d’obtenir les résultats espérés : décoller à la masse maximale dans des conditions de vent « habituelles ». L’expertise acquise à travers la formation à l’Ecole du Personnel Navigant d’Essais et de Réception (EPNER) par l’IPA Julie Lefrant, INE Tigre, et moi-même nous permit d’étendre les résultats observés en essais à l’ensemble du domaine (de températures extérieures notamment) afin d’offrir une prestation « clés en main » à la direction de programme, c’est-à-dire des résultats directement utilisables par les pilotes. |
L’ouverture de domaine d’appontage
En essais en vol, l’aspect le plus technique est la détermination du domaine d’appontage : il s’agit de fournir les conditions maximales à l’intérieur desquelles l’hélicoptère peut effectuer les différentes opérations « en vol » : mise en route, décollage, appontage, arrêt rotor. Ces conditions doivent respecter deux critères : être représentatives des paramètres physiques réellement limitatifs et être utilisables par les forces – c’est-à-dire accessibles par l’équipage ou l’officier d’appontage lors de l’utilisation opérationnelle.
La difficulté de la préparation puis de l’analyse de ces essais tient aux nombres de paramètres possiblement influents dont il faut identifier ceux qui agissent au premier ordre : vitesse et inclinaison relatives des deux mobiles, effets aérologiques des superstructures du bateau… Ces questions ne sont, à l’heure actuelle, pas unanimement tranchées (voir encadré).
L’analyse s’attachera ensuite à les transcrire en paramètres utilisables par les forces : roulis et tangage du bateau, direction et vitesse du vent et enfin masse de l’hélicoptère.
Dans la pratique, l’équipe d’essais va explorer de manière incrémentale le domaine en vérifiant sur chaque point effectué sa conformité aux attendus : résistance au choc lors de l’appontage, capacité pour le pilote à réaliser les manœuvres de décollage et d’appontage sans atteindre une limite (puissance, butée de commandes), charge de travail associée.
L’installation d’essais permet d’enregistrer et transmettre en temps réel ces paramètres pour aider l’équipe à statuer sur la poursuite de l’exploration.
Une chose est sûre : cet exercice nécessite précision et patience pour aller chercher des conditions de mer exigeantes (à titre d’exemple on peut atteindre des mouvements de bateau de 7° en roulis, 2° en tangage et jusqu’à 80 km/h de vent). Obtenir les bonnes conditions météorologiques est un élément aléatoire et par conséquent très contraignant pour chaque campagne.
Sur la dernière décennie, la DGA et les industriels ont été confrontés sur NH 90 et sur Tigre à la réalisation de campagnes d’essais pour ouvrir une enveloppe d’appontage. Les débats techniques ont été intenses: quel est le plus dimensionnant entre une frégate légère soumise à de forts mouvements ou un BPC plus stable mais avec un fort bras de levier? Peut-on dé-corréler le roulis et le tangage? Et dé-corréler ces derniers du vent? Il n’existe aucune réglementation civile associée à ce domaine particulier, encore moins de méthode d’essais acceptée par les autorités de certification américaine ou européenne. En l’absence d’approche unifiée, chaque équipe intégrée de programme (industriel et étatique) a construit sa méthode et adopté ses critères à démontrer. Cela a pu amener à devoir chercher des conditions d’essais drastiques, nécessitant plusieurs campagnes successives. Fort du retour d’expérience sur ces programmes, l’ICETA Ivan Volpoët, chef de la division Essais-Expertise du site d’Istres de DGA Essais en vol a lancé des travaux de simulation et d’essais pour aboutir à une méthode d’essais générique. Sa méthode permet de transférer une bonne partie des essais à terre, sur plan incliné notamment, afin de réduire les essais en mer et ainsi de minimiser les risques techniques, financiers et calendaires. |
Un travail en coopération
Le plus souvent, ces essais se réalisent en coopération étroite entre le concepteur de l’hélicoptère, les équipes de DGA Essais en vol et la Marine, voire leurs homologues étrangers pour les programmes en coopération. La coordination de l’ensemble est alors la clé de la réussite de la campagne d’essais. Chaque entité doit avoir ses responsabilités établies afin d’instaurer une confiance mutuelle entre les acteurs et s’assurer que l’ensemble des ressources et des moyens convergera bien sur le bateau au bon moment.
Dans cet exercice, les équipes de DGA EV ont acquis un sérieux retour d’expérience sur l’organisation de telles campagnes aux cours de la dernière décennie : NH 90, Tigre, EC135… qui sera encore mis à profit avec le programme Hélicoptère Interarmées Léger.
Matthieu Jammes, IPA Architecte Essais Evaluations Expertise Tigre à DGA Essais en vol | |
Diplômé de l’Ecole Polytechnique et breveté ingénieur navigant d’essais (INE), Matthieu Jammes rejoint DGA Essais en vol en 2009 où il exerce les fonctions de responsable d’essais sur NH 90 puis sur les hélicoptères rénovés. En 2016, il devient Architecte Essais Evaluations Expertise du Tigre. |
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