LOGISTIQUE DES VACCINS / COVID-19
UN OCA AU MINISTÈRE DES SOLIDARITÉS ET DE LA SANTÉ
Le 22 octobre 2020, vers 19h00, à la SIMMT, alors que je m’occupe de la logistique et des opérations de maintenance au profit des théâtres d’opérations, un appel de la DGA me demande si je serais disponible pour rejoindre une équipe interministérielle en charge de la vaccination contre la COVID-19.
30 minutes plus tard, un appel du Cabinet MINARM m’annonce que je suis « le candidat » MINARM pour cette nouvelle équipe. Le 26 octobre vers 20h00, je rencontre au ministère de la santé le chef de la « Task Force Vaccination ». Ma mission, si je l’accepte, sera de mettre en place les flux logistiques de distribution des futurs vaccins contre la COVID-19. Le courant passe entre nous. C’est oui.
Pour le choix de mon profil, à la réflexion, la logique est imparable : 2 ans au cabinet santé à l’époque de la crise H1N1 en 2009, et responsable de la logistique de l’Armée de Terre depuis 2018. Pour autant, la mission me semble rude. Je ne serai pas déçu. Elle sera rude bien au-delà de mon imagination.
Le 2 novembre 2020, j’arrive au ministère des solidarités et de la santé. La situation est tendue. Les vaccins doivent arriver fin 2020, et aucun circuit logistique n’est encore réellement proposé, et moins encore testé. Or, la situation ressemble beaucoup à la logistique des armées, en situation de crise. La seule différence, c’est la pression politique et populaire sur la mise en œuvre de cette vaccination, alors que le deuxième confinement est en cours. Après les masques, après les tests, après deux confinements, il n’était pas question de ne pas réussir la vaccination.
Le samedi 14 novembre, le directeur de cabinet, et ses adjoints demandent une présentation des schémas logistiques. Il y en aura deux, conformes à la stratégie de santé publique étudiée, analysée et préconisée par les médecins de la Task Force et la Direction générale de la Santé (DGS). Le premier flux, « flux A » devra permettre de vacciner les pensionnaires des EHPAD et leurs soignants, sans les déplacer : c’est le vaccin qui viendra à eux. Le challenge est colossal car le vaccin COMIRNATY de PFIZER ne se transporte que 10h00, ne se conserve que 5 jours maximum une fois décongelé, et ne s’utilise que durant 5h00 une fois le flacon ouvert. 7000 EHPAD seront desservis, via 5600 officines de ville, en flux tendu, à la dizaine de minutes près. Le second flux, « flux B », est la version santé des flux logistiques de la livraison au point de monte (FELIN, SCORPION,…). Il desservira 100 établissements de santé, en métropole et en Outre-mer. Consigne ferme du gouvernement : tous les départements devront être approvisionnés dans le même laps de temps (3 jours entre le premier et le dernier), de Paris à l’Ariège, de la Creuse à la Martinique, du Bas-Rhin au Finistère… Les armées vont d’ailleurs nous aider, ainsi que le ministère de l’Intérieur. Le CPCO et le COGIC nous ont bien aidés. Les services de ministère de l’Intérieur sont sollicités pour assurer la sécurité des transports : à ce jour, aucune dose de vaccin n’a été volée en France.
Reste à négocier avec PFIZER. Je prépare les argumentaires, j’imagine les blocages de l’industriel. La négociation va durer… 20 minutes. PFIZER est surpris, un peu déstabilisé, et finalement accepte.
Le vaccin COMIRNATY, un challenge à lui seul : conservation à -80°C. Transport limité à 10h00 après décongélation. Un vaccin disruptif mais avec un taux de réussite de 98%. Impossible de ne pas l’utiliser. En décembre, en un mois, il faut équiper 100 hôpitaux en super-congélateurs, préparer les transporteurs logistiques, prendre attache avec les syndicats professionnels, négocier avec les organisations professionnelles car l’utilisation du COMIRNATY va impliquer de (très) gros efforts.
Le 26 décembre 2020 à 06h00, les premiers vaccins arrivent en France. 3 heures plus tard, les premières vaccinations commencent. La France commence sa campagne le 4 janvier 2021, ce qui avait été annoncé dès la fin novembre 2020. Pourtant, la campagne médiatique sera terrible : journalistes, « experts », et autres se succèdent pour critiquer la campagne de vaccination. Les journées sont longues, parfois 20 heures d’affilée. A aucun moment, le ministre de la santé ni le chef de la Task Force n’émettent la moindre réserve et ne remettent en cause leur confiance. En une semaine, j’ai vieilli d’un an. Mes camarades aussi. Le cap est franchi à la mi-janvier, avec des doses qui arrivent de plus en plus. Pourtant, de cette période, il restera un mauvais souvenir tenace. Une expérience que je n’avais pas connue même au plus fort de la crise H1N1.
Deux mois plus tard, le bilan est clair : le flux A aura permis de vacciner en 2 mois 90% des résidents EHPAD, avec un taux de réussite de 99,7%. Le flux B alimente les hôpitaux et les centres de vaccination. Aujourd’hui encore, il est performant à plus de 99%. 22 millions d’injections ont été réalisées le 3 mai 2021.
En février, il faut lancer la distribution du vaccin Astrazenecca en circuit ville, car ses conditions de transport sont bien moins complexes que le vaccin PFIZER. Le second vaccin à ARN messager, MODERNA, arrive à son tour. Il devra irriguer lui aussi les centres de vaccinations.
En parallèle apparaît un sujet de préoccupation : les vaccins ne suffisent pas. Rien ne peut se faire si on ne peut pas les injecter. Or, tous les pays se sont rués vers les fabricants de seringues et aiguilles, qui sont principalement en Chine. Les livraisons destinées à Santé Publique France (SPF) sont retardées… je m’aperçois que certaines ont disparu, probablement revendues à plus offrant. Je prends contact avec l’ambassade de France en Chine et avec les douanes : désormais, il va falloir sécuriser chaque étape de nos livraisons. La confiance ne règne pas. Les relations sont compliquées. De manière concertée, les services de l’Etat mettent la pression. Cela fonctionne.
En avril 2021, un nouveau challenge : faire passer le vaccin à ARN-messager MODERNA dans le circuit ville, en dépit de ses conditions de stockage et de transport. C’est une rupture capacitaire, mais elle est indispensable. La vaccination COVID va probablement se transformer progressivement en campagne de vaccination de type « vaccination grippe » annuelle. Seul le circuit ville le permet. En deux semaines, les négociations sont initiées avec les dépositaires et les grossistes répartiteurs, en vue de monter en compétence. Le 23 avril (par Saint Georges !) 2021, le vaccin ARN est expérimenté en ville, dans le département de la Moselle. Le résultat est au rendez-vous. Le 4 mai, la décision est prise de généraliser le passage au circuit ville.
Désormais, chaque semaine 3,5 millions de doses arrivent en France. Elles sont consommées en 7 jours, et les pertes sont plus que minimes. Chaque semaine, la logistique dessert en vaccins et en seringues/aiguilles tous les territoires de la France : chaque département de la Métropole (des grandes villes aux déserts ruraux), tous nos départements d’Outre-mer, la Polynésie, la Nouvelle Calédonie, Saint-Pierre et Miquelon, et Wallis et Futuna… du centre-ville de Paris jusqu’aux villages des rives de l’Oyapock en Guyane, sans oublier nos ressortissants de l’étranger (plus de 50 pays) pour lesquels des envois par valises diplomatiques sont réalisés en lien étroit avec le Quai d’Orsay. Une expérience unique…. Des circonstances uniques aussi. Deux pages ne permettent qu’effleurer cette expérience. Mais, dans cette revue de 7 mois de mission, le lecteur retrouvera les qualités des OCA de la DGA : aptitude à négocier, capacité de conception, travail en équipe de projet (presque intégrée), aptitude à gérer différentes composantes d’un projet (technique, financement, sécurité, management humain…). A cela, il faut associer une grosse capacité de travail. Au-delà de ces points, il faut aussi reconnaître, probablement, un peu de chance… Mais après tout, Audaces Fortuna juvat.
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