PLONGÉE SOUS-MARINE - MAIS PAS QUE - DANS UN STUPÉFIANT CINÉMA
Antonin Baudry ayant décliné la proposition d’écrire une histoire du film de sous-marins du fait du délai trop court, et suite au décalage de la publication des actes du colloque « Imaginaires nucléaires » organisé à la BNF, l’auteur s’y colle. Florilège mirvé à trajectoire balistique sur ce qu’on laisse derrière soi en partant en plongée, ou plus largement à l’aventure.
« Il faut éteindre la démesure plus encore que l’incendie », Héraclite, Fragments - 43.
Acoustique sous-marine : Le grand orchestre des animaux, Bernie Krause, Fondation Cartier pour l’art contemporain. À lire : Éloquence de la sardine, de Bill François.
La catastrophe
Thomas Vinterberg ouvre Kursk par une séquence d’apnée dans la baignoire du fils du personnage principal, chef du secteur propulsion à bord du submersible. L’équipage se cotise pour financer la noce du responsable des armements, allant jusqu’à mettre en gage leurs précieuses montres de sous-mariniers. La fête a évidemment lieu à l’escadre. Discours de l’autre témoin, en charge de la chaudière nucléaire : « C’est peut-être la désolation de cette terre qui nous rassemble, mais clairement nous sommes unis ». Le héros évoque quant à lui la dure vie de femme de sous-marinier, suite à quoi l’assemblée trinque puis chante sous les augures d’une fresque annonçant la catastrophe à venir. « The sailor’s band, the sailor’s band / Here is my heart and here is my hand / I think I think / I think I think / It’s time to have / Another drink ». Avant l’embarquement, la détente est complète : « Ready to go fishing? ».
L'inconscience.
Passées ces premières minutes surréalistes, le film documente les errements du sauvetage du navire et le naufrage de la communication des autorités vers les familles, en lien avec la paranoïa d’une Flotte du Nord qui devait être en plongée et coupée du monde au moment de la chute de l’URSS. Pendant que sur le fond de la mer de Barents, ce qui reste de l’équipage est frigorifié et se raconte des plaisanteries d’ours polaires.
Communication qui vire au désastre sur fond de parano. Une coproduction DGA Comm - SSDI.
« Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui sont en mer. » Aristote sur les marins (ouverture du Chant du Loup).
En dernière annexe d’En attendant Majorana, Étienne Klein expose son intime conviction selon laquelle le génial physicien quantique n’a pas pressenti la Bombe et orchestré sa disparition, à bord d’un ferry depuis Naples, dans le but de ne pas y être associé. Pourtant, comment ne pas voir là un SNLE se diluant dans l’immensité de l’océan?
Coelacanthe et Lorelei
Dans Le chant du Loup, François Civil - drôle de nom pour un militaire, fut-il oreille d’or - apporte le calme et la tempérance, et pourtant une forme d’obstination et d’opiniâtreté, dans une sous-marinade très procédurière. Son surnom, Chaussette, enveloppe le film d’Antonin Baudry d’une forme de tendresse pour la recherche d’échos inédits ou trop vite archivés. Il suit une piste incertaine, quelque part entre un cachalot et un sous-marin soviétique prétendument désarmé, puis celle de missiles trop légers pour être honnêtes. Envers la hiérarchie, dont son oreille parvient à percer les mots de passe et les dissimulations.
En plein Désert des Tartares ou Rivage des Syrtes de la vie en SNLE, attente permanente entre deux eaux d’un déclenchement qui ne vient jamais, il se met en quête des séries de Fourrier dans une bibliothèque brestoise et y rencontre sa compagne et à travers elle les paradis artificiels, ce qui l’empêche d’embarquer sur l’Effroyable, les psychotropes étant peu en cour dans la Royale.
Cet acte manqué lui permet de repartir en chasse à bord du Titane, pour une traque du point magique qui permettra le tir fatidique et aussitôt regretté.
L’actrice qui incarne sa compagne, Paula Beer - sur les écrans en ce moment dans Ondine, autre mythe subaquatique d’outre-Rhin qui se termine mal - est allemande : coïncidence, je ne crois pas. Une sorte de Lorelei, ou encore de chant des sirènes, qui mène très sûrement un navire à la perdition et au naufrage.
Le héros finit par refaire surface, motif récurrent du film, au prix de ses précieux tympans.
La guerre des étoiles
[Spoiler alert] Dans Ad Astra, space opéra psychologique de James Gray, Brad Pitt incarne un travaillomane-persévérant de DGA-EV cherchant désespérément à suivre les traces de son père, un Jean-François Clervoy passé par la case Jean-Pierre Dupuy avant de finir en docteur Folamour, menaçant de détruire la Terre en injectant de l’antimatière dans Neptune. Le film se résout par l’explosion d’une bombe nucléaire réduisant à néant la tentative écolo-démiurgique paternelle, suivie par une séance de surf sur l’onde de choc pour revenir vers la Terre et son ex-femme, perdue de vue car le héros était avant tout marié à son uniforme et à sa combinaison.
Pilier technique de l’ECPAD, depuis 1961.
Avec Proxima, Alice Winocour met en scène une future spationaute en pleine formation, rattachée à la Terre par sa fille Stella. Le générique de fin fait défiler les figures de femmes inscrites ou promises au Panthéon de la conquête spatiale. Un film à rapprocher des questionnements contemporains sur la présence de femmes à bord des sous-marins. Un ancien pacha de SNLE mettait en avant lors d’une conférence rue d’Ulm les différences culturelles entre pays européens : les norvégiens pourraient voir à la sortie de la douche une sous-marinière se brossant les dents torse nu sans s’émouvoir outre mesure, ce qui paraît compliqué pour des esprits latins - fatalement, si Eva Green...
Ces deux films introduisent de la douceur dans le monde froid, rationnel et fondamentalement hostile de l’espace.
Hermétisme de la navigation au sextant
La femme des steppes, le flic et l’oeuf, film poétique et mystique de Wang Quan’an, encore en salles, semble se terminer sur une salve de feux d’artifice tirés depuis une moto zigzagante, évoquant visuellement des M51 et un bouquet final pour le monde, bien que cette scène soit en réalité une célébration. Cette hallucination est dépassée par un épilogue post-vêlage (le film présente tout un bestiaire, actuel comme préhistorique), en forme de ballet de lampes frontales et d’effets optiques sur l’objectif, sur des sons qui semblent résonner depuis Katmandu.
Dans The Hired Hand, film maudit de la contre-culture américaine, Peter Fonda se met en scène assassinant un bandit à moitié endormi, suite à quoi un flash de lumière blanche envahit l’écran. Le film, qui enchaînait les fondus-réminiscences sur un temps répétitif qui s’étire et ne parvient pas à passer, accède transitoirement à une forme d’épure. On ne saura s’il était question d’amour ou d’amitié, ou encore de la camaraderie qui se forge entre cow-boys ou à bord des sous-marins. La musique du film, composée et largement interprétée par le légendaire et fantomatique Bruce Langhorn, est une improvisation instrumentale et expérimentale entre folk et science-fiction, à la fois lancinante et éthérée. Elle permettra ou non de comprendre pourquoi le héros partit, revînt, puis s’en alla une dernière fois.
Phares bretons égarés à Mururoa. Les allemands n’ont certes pas la bombe, mais ils savent conjuguer sandales et chaussettes.
Dans ces deux films de grands espaces et de cieux irisés - tout ce qui manque aux-sous-mariniers - encadrant le Dead Man d’un Jim Jarmusch revenu au noir et blanc et à une poésie explicite, il est impossible de déterminer par quel moyen les protagonistes s’orientent dans les steppes mongoles ou le Far West américain. Ils arrivent pourtant toujours à bon port.
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