« RECONQUÉRIR LA SOUVERAINETÉ »
UN COLLOQUE QUI FERA DATE
En dépit d’un contexte sanitaire difficile, le colloque du 6 avril sur la reconquête de la souveraineté s’est tenu comme prévu, dans une ambiance conviviale et… dans le respect des gestes barrières. Indépendance industrielle, numérique, et économique, place de l’Europe dans le monde, tous les sujets liés à la souveraineté ont été passés en revue au cours de quatre tables rondes de prestige. Retour sur un grand moment pour le corps.
Il sera dit que le pari fut finalement tenu. Le 6 avril 2021, le colloque « Reconquérir la souveraineté » s’est tenu à NewCap event center, Paris XVème. Devant un auditoire clairsemé, masqué et distancié, nos invités ont disserté durant plusieurs heures sur les quatre thèmes inscrits à l’ordre du jour du colloque : industrie de défense, économie, numérique et Europe. Après une introduction d’Hervé Guillou, vice-président du CGarm, qui a rappelé le rôle joué par les ingénieurs de l’armement dans le développement de la souveraineté française depuis les années 60, trois tables rondes simultanées se sont ouvertes.
La table ronde consacrée à l’industrie de défense a réuni Stéphane Mayer, ancien PDG de Nexter et président du CIDEF, Christophe Salomon, Directeur général adjoint Systèmes terrestres et aériens du groupe Thales, Bruno Even, PDG d’Airbus Helicopters, Camille Grand, Secrétaire-général adjoint de l’OTAN, et Jean-Paul Herteman, ancien PDG du groupe Safran. Il est ressort que la dualité civilo-militaire prendra de plus en plus d’importance à l’avenir, de même que l’export, pour assurer la viabilité d’une BITD évoluant par ailleurs dans un paysage stratégique de plus en plus bousculé. Dans ce contexte, l’Etat et notamment la DGA ont un rôle important à jouer pour mieux structurer l’industrie de défense en favorisant l’émergence d’acteurs plus grands qu’actuellement. L’Etat actionnaire, qui connaît bien le monde de la défense, peut jouer un rôle d’impulsion, mais c’est d’abord par le levier de la régulation que l’action publique est la plus efficace. La création du fond européen de défense peut être également une opportunité, mais à la condition de ne pas oublier que la participation des Etat européens à des projets communs reste secondaire par rapport à leurs propres intérêts nationaux.
La table ronde numérique s’est articulée autour d’une intervention de Guillaume Poupard, Directeur général de l’ANSSI, suivie d’une intervention de Bernard Barbier, ancien directeur technique de la DGSE. Guillaume Poupard a rappelé que les attaques par rançongiciel vis-à-vis des administrations sont en augmentation constante depuis quelques années, et que le décalage est immense entre la facilité d’attaquer et la difficulté à défendre. L’espionnage par voie numérique s’est aussi considérablement développé, à preuve les nombreuses informations que les administrations françaises se font dérober chaque année. Face à cette menace, la France doit se doter de capacités offensives qui ne pourront être garanties que par une BITD numérique solide. De son côté Bernard Barbier a pointé le décalage important entre les bonnes performances françaises en matière de cyberdéfense et le peu d’outils européens existants. A été pointé également le risque de recours de plus en plus systématique au cloud par les entreprises, qui fait tomber les données stockées sous le coup du cloud act américain à portée extraterritoriale.
La table ronde économique a réuni quant à elle Raphael Gauvain, député de Saône-et-Loireé, Frédric Pierucci, ancien cadre d’Alstom, Alain Juillet, ancien haut responsable en charge de l’intelligence économique, et Patrick Guyonneau, responsable de la sécurité du groupe Orange. Une présentation de Thomas Courbe, Directeur général des entreprises, a conclu cette table ronde. Les échanges ont dressé un constat similaire à celui de la table ronde numérique concernant la menace que fait peser l’extraterritorialité des sanctions américaines sur les entreprises européennes, qui constituent deux tiers des poursuites menées par les procureurs fédéraux. Aucune entreprise russe ou chinoise n’a encore été visée. Pour s’en prémunir, la France et l’Europe ont tout intérêt à s’inspirer des pratiques des autorités américaines elles-mêmes, qui n’hésitent pas à mouiller peurs propres services de renseignement, et à développer des outils de protection de nos marchés publics, encore trop ouverts et asymétriques. Des solutions plus locales, comme celles mises en place en Allemagne, où certaines entreprises ont créé un système économique s’appuyant sur de petites banques situées dans les Lander et n’utilisant pas le dollar, semble également efficace.
Le colloque s’est achevé sur un débat entre Hubert Védrine et Jean-Pierre Chevènement sur la souveraineté européenne, précédé d’une vidéo de quelques minutes enregistrée par M. Clément Beaune, Secrétaire d’Etat aux affaires européennes. On a pu constater peu de divergences de fond entre les deux hommes, tous deux étant d’accord sur le fait que l’Europe a évidemment des intérêts stratégiques qu’il s’agit de défendre, mais que cette défense ne passe pas par une stratégie du consensus permanent, mais par la constitution de coalitions ad hoc sur des sujets d’intérêt communs tels que le nucléaire ou les batteries. S’agissant de la situation de l’Europe vis-à-vis de l’axe sino-américain qui structurera la géopolitique mondiale dans les décennies à venir, il importe que la France ait la capacité, via sa dissuasion nucléaire notamment, de ne pas se laisser entraîner dans un conflit qui serait contraire à ses intérêts. Comme un écho aux propos tenus lors de la table ronde sur l’industrie de défense, il a été rappelé que les pays européens, comme les autres, ne font que défendre leurs intérêts, et que l’Allemagne, par exemple, ne s’est convertie au plan de relance européen qu’au vu des ravages de la pandémie sur le tissu industrie de l’Italie du nord. Le multilatéralisme, qui – Hubert Védrine l’a rappelé - a été construit par les Américains pour y exercer leur leadership, constitue un cadre d’action et non une idéologie. Jean-Pierre Chevènement a conclu en rappelant le rôle que les ingénieurs de l’armement et la DGA en particulier, dont lui-même a apprécié la qualité du travail lorsqu’il était ministre de la défense entre 1988 et 1991, sont appelés selon lui à jouer dans le développement de la souveraineté nationale.
Il ressort des échanges de ce colloque, organisé par un groupe de jeunes ingénieurs de l’armement dynamiques, des pistes de réflexion profondes et balayant l’intégralité du spectre des sujets liés à la souveraineté. Mais ce colloque constitue surtout une grande première pour le corps de l’armement de par sa densité d’invités prestigieux, non exclusivement ingénieurs de l’armement. Souhaitons qu’il puisse donner au corps, dans cette période de redéfinition profonde des missions et des modes de recrutement de l’Etat, un rayonnement et un élan nouveaux. N’hésitez pas à communiquer autour de vous sur ce sujet !
L’intégralité du colloque est disponible en replay vidéo sur le site de la CAIA.
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