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La corneille (crow), symbole de l'opérateur en guerre électronique
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26 octobre 2021

GUERRELEC
MAÎTRE DES ONDES, MAÎTRE DU MONDE

La Guerre Electronique (GE) est un domaine obscur, connexe au monde du renseignement, et emportant une forte composante technique, souvent bien vite relégué au brouillard de la guerre tout court. Il peut donc paraître très étonnant qu’une association ait été créée en France il y a maintenant vingt-cinq ans, avec des connexions internationales affichées, pour faciliter les échanges des acteurs nationaux tout en affirmant notre place parmi nos alliés.


Ce groupe s’est concrétisé sur un modèle américain, Association of Old Crows, dans une dynamique portée à l’origine essentiellement par l’une des finalités de ce domaine, la protection des aéronefs.

Les présidents de : l’IGA Pierre Granclément a succédé au GCA Bernard Libat qui avait remplacé l’auteur. 

Il convient en fait de remonter aux années 60 pour en trouver les racines. La France opère un virage stratégique avec la décision du général de Gaulle de la doter d’une force de frappe autonome (et d’une organisation à même d’en conduire les travaux, la DMA). La prise d’alerte nucléaire des Forces Aériennes Stratégiques, le 8 octobre 1964, modifie profondément les enjeux de l’Armée de l’Air.

Dès ces années 1960 à 1980, les échanges entre la DRET (Direction des Recherches et Etudes Techniques), la DTCA (Direction Technique des Constructions Aéronautiques), et les Armées de l’Air française et américaine étaient particulièrement courants et denses, tant en bilatéral qu’au sein de groupes technico-opérationnels de l’OTAN. La France, qui avait été pionnière dans les racines techniques de la GE, avant la 2e guerre mondiale, a alors reconstitué pas à pas une base industrielle et technologique cohérente avec ses besoins.

Une dynamique américaine dès les années 1960

La nécessité d’équiper certains aéronefs devant pénétrer les dispositifs adverses de moyens d’autoprotection est progressivement devenue patente. La conviction que l’expertise d’un pilote, alliée à la manoeuvrabilité de son avion, à sa vitesse (très élevée) et à son altitude de vol (très haute, ou a contrario très faible) suffiraient à garantir sinon son succès à coup sûr, mais tout au moins un taux d’attrition admissible, s’est effritée (très) progressivement. Dès 1960, le U2 de Gary Powers avait été abattu par des salves de SA.2. La capacité de survie, donc de crédibilité, des composantes aéroportées de dissuasion est dès lors un sujet ouvert comme l’illustre bien Stanley Kubrick dans Dr Folamour (1964). A un niveau plus tactique, l’Armée de l’Air américaine rencontre dans ses combats au ViêtNam une problématique nouvelle avec la densification sur le théâtre de systèmes d’armes anti-aériennes guidées. L’intérêt d’un forum plus ou moins informel émerge, pour faciliter les échanges entre opérationnels, experts techniques, industriels et décideurs. Le modèle qui avait prévalu au Royaume Uni pendant la 2e guerre mondiale autour de pôles comme celui de Bletchley Park n’est pas transposable et un groupe d’officiers et d’anciens de l’USAF crée en 1964 une « organisation pour les individus ayant un intérêt dans le domaine de la GE ». Le siège est établi en Virginie, à Alexandria, à un jet de pierre du Pentagone bien sûr, mais sa structure est en fait une fédération de « chapters », groupes constitués sur un périmètre géographique autour d’une base, d’un bassin industriel, ou d’un lieu de décision. Tout d’abord strictement américaine, avec des activités majoritairement classifiées « US eyes only », l’AOC s’est progressivement ouverte au reste du monde, ressortissants des nations « five eyes », puis à des alliés de l’OTAN, enfin à d’autres, sur la base de contacts individuels, mais en favorisant assez rapidement la création de chapitres nationaux. Un club est ainsi reconnu au Royaume Uni dès 1972, et aujourd’hui l’AOC comprend 68 chapitres, dont 21 non américains, pour près de 20 000 adhérents. L’AOC se dote en 1978 d’un organe de presse, le magazine mensuel « Journal of Electronic Defense », qui va devenir un remarquable vecteur de communication ouverte sur les doctrines GE américaines, … et les produits de son industrie. 

Une couverture du JED 

Mais une spécificité française

En France, le domaine est tiré par les besoins de la dissuasion. La FATAC (Force Aérienne Tactique), qui y contribue, exprime des besoins complémentaires, notamment pour ses Jaguar puis ses Mirage F1. Le retour d’expérience de la guerre du Kippour est particulièrement démonstratif. L’armée qui avait assuré une victoire éclair, six ans avant, s’est retrouvée clouée au sol après trois jours de pertes terribles jusqu’à l’installation sur ses bombardiers de matériels ad hoc (exceptionnelle réponse à un UOR !). La coopération technico-industrielle s’intensifie, et, par exemple, les essais de mise au point d’un brouilleur destiné au Jaguar sont réalisés, par Thomson-CSF, outre-Atlantique à l’AFEWES – pendant qu’un moyen national est lancé dans la DGA à Bruz. 

La fin des années 80 marque un tournant très significatif pour tous les acteurs de défense. En quelques mois, le contexte évolue profondément. Le bloc adverse qui dimensionnait la quasi-totalité des programmes d’armement s’effondre et de nouveaux conflits apparaissent. Le mur de Berlin s’ouvre fin 1989 et le 31 juillet 1990 les troupes irakiennes envahissent le Koweit. Une coalition internationale se constitue pour faire pression sur un pays qui est alors considéré comme disposant de la 4e armée mondiale. Une coopération bilatérale franco-américaine, intense et ambitieuse, resserre encore les liens dans le domaine de la GE – nos alliés étant alors très surpris du niveau des systèmes d’autoprotection développés en France (et pour certains exportés).

Les années suivantes conduisent à un réexamen en profondeur des organisations et des orientations définies – ce qui donnera notamment naissance à la DRM, et qui consacrera le caractère interarmées d’une petite unité créée en 1986 par l’Armée de l’Air au sein du CEAM, l’Equipe de Marque GE, qui devient CPIGE – puis EPIGE. Ce sont aussi des années de contraintes budgétaires accrues (« dividendes de la paix ») et de réorganisation de notre tissu industriel. Dans le domaine de la GE aéroportée, deux industriels majeurs, Thomson-CSF et Dassault Electronique, s’observent et la concurrence est rude, tant en France qu’à l’export, avant le rapprochement. Ce sont enfin des années d’engagement de nos Forces sur des théâtres exigeants, dans des contextes complexes de coalition (Bosnie, dès 1994).

Pour un forum rassemblant des personnels des Armées, de la DGA et de l’Industrie

L’intérêt de stimuler et de fluidifier les échanges au sein de la communauté GE française, mais aussi de la positionner dans le paysage international, est alors plus évident que jamais. Le ministère de la défense autorise la création d’une association dans ce but et fin janvier 1997 une réunion est organisée par l’Etat-Major de l’Armée de l’Air avec la DGA et les trois grands industriels nationaux du domaine (les deux précédemment cités, et Matra). 12 membres fondateurs déposent les statuts de l’association GUERRELEC, et en demandent à l’AOC la reconnaissance sous l’appellation « chapitre La Fayette ». Un symposium international est organisé à Paris dès 1998. Près de 500 personnes de plus de 30 nations différentes se réunissent au carrousel du Louvre pendant 3 jours, des stands industriels présentant des équipements dans les salles adjacentes.

 

Pourquoi une vieille corneille ?

Les premières missions aériennes organisées de GE remontent à la 2e Guerre Mondiale. Les opérateurs de ces équipements hautement secrets utilisaient du côté britannique le nom de code Raven (corbeaux) - pour des raisons qui sont probablement encore classifiées (!). Intelligence exceptionnelle et capacité d’imagination de cet oiseau, lien très ancien avec  la sorcellerie, caractère présumé vaniteux ? Un glissement sémantique du corbeau vers la corneille (Crow) s’est opéré a priori lors de la traversée de l’Atlantique de ces techniques – peut-être un relent dédaigneux de nos amis britanniques envers leurs anciennes colonies. Toujours est-il que depuis 60 ans dans le monde entier (occidental), un guerrier électronicien est un Crow. Quant à son ancienneté (old), il me semble, compte tenu des enjeux du domaine, que c’est parce que si l’opérateur est vieux, c’est qu’il est efficace – sinon il ne serait pas rentré de mission.

 

GUERRELEC a, comme l’AOC, ouvert le spectre de ses activités à la totalité du domaine de la GE, incluant des pans de la guerre de l’information et du cyber et a rassemblé plus de 300 membres. Fidèle à sa raison d’être, elle organise, environ tous les 4 ans, un colloque national plutôt de niveau politico-militaire, et environ 8 fois par an des rencontres autour d’un conférencier sur une thématique historique, technologique ou opérationnelle. Une visite annuelle sur un site (unité opérationnelle, centre d’essais, site industriel voire musée) permet également de rassembler les adhérents. Le bulletin de GUERRELEC assure un lien complémentaire et l’association favorise et organise la publication d’ouvrages de synthèse. 

La tenue en France d’un nouveau symposium international, plus de 20 ans après celui du Louvre, est d’actualité. La place et les moyens nécessaires pour les différentes facettes de la GE dans un contexte de conflictualité plus sévère, notamment potentiellement entre états majeurs, et de lancement de nouveaux grands programmes structurants, nécessitent plus que jamais la contribution de tous.  

 

    
Bruno Berthet
Débute au CEV sur les essais des systèmes de GE, puis devient chef des départements GE du service des technologies communes et du service des programmes aéronautiques, puis DP M.2000. Sous-Chef d’état-major Plans–Programmes de l’Armée de l’Air, puis directeur adjoint de la DDI, il quitte le MINARM fin 2011 et rejoint RAFAUT dont il devient le PDG mi 2015.
 

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