LA MESURE DU TEMPS AU COURS DES TEMPS
Chaque avancée dans notre compréhension du monde nécessite des mesures du temps plus précises. Quelle sera la prochaine étape ?
Quel temps ?
Dans une communauté d’ingénieurs, certaines connaissances scientifiques sont devenues intuitives. Par exemple, nous avons pleinement conscience, après un bon repas, quand nous hésitons entre méditer profondément devant un article de revue ou faire un tour dans notre jet privé, que, nous savons que, dans l’absolu, nos choix de déplacement n’ont aucun effet sur notre vitesse : comme toutes les particules de l’univers connu, nous continuons notre trajectoire dans l’espace-temps, à 299 792 458 m/s, et seule la projection du vecteur vitesse sur les différents axes spatiaux et temporel sera légèrement modifiée. Notons qu’il est heureux que nos vecteurs soient tous à peu près parallèles, sinon la vie de tous les jours deviendrait bien compliquée, et notamment la cohésion du Corps.
Mais pour M. X, qui s’entête à différencier exagérément les variables temporelle et spatiales, à se diriger vers le Sud, ou l’Ouest, et à consulter sa montre au poignet, les choses se présentent différemment : une durée ne lui semble pas, contrairement à ce que nous enseigne la relativité, tout à fait équivalente à une distance. Intéressons-nous donc au temps, à sa mesure et à son utilisation scientifique.
Temps et représentation de l’Univers
La nécessité d’améliorer la mesure du temps s’est produite, de façon assez naturelle, chaque fois que l’avancée des connaissances conduit à une remise en cause de notre vision globale de l’univers :
- Géocentrisme (la voûte céleste tourne autour de la terre),
- héliocentrisme (les planètes proches suivent des cercles autour du Soleil,
- gravitation universelle de Newton,
- et enfin relativité (Lorentz, Poincaré, Einstein) qui décrit le mouvement de toute particule dans l’espace-temps.
Du cadran solaire au quartz
L’observation du mouvement du Soleil et des astres a permis de définir le jour et ses multiples (l’année, la saison, etc.). La difficulté vient ensuite de la mesure, de plus en plus précise, d’intervalles de temps entre l’aube et le crépuscule.
Les anciens ont utilisé la vitesse relativement constante de phénomènes physiques: combustion lente ou écoulement de fluide.
Après le simple bâton, les savants de l’Empire arabe ont conçu au XIIIe siècle un cadran solaire indiquant des heures égales quelle que soit la saison ; sa précision est d’une ou deux minutes.
Les savants occidentaux commencent à perfectionner des garde-temps “tout mécanique” où le mouvement est transmis par des engrenages en série à une petite pièce mécanique (l’échappement) via soit un poids qui chute (horloge), soit un ressort en acier (pendule et montre).
La révolution newtonienne (théorie de la gravitation universelle) permet de nouveaux calculs. En 1656, Huygens introduit la pendule à balancier oscillant, interagissant avec l’échappement. La précision passe alors de 15 minutes à 15 secondes par jour. En 1675, il invente un autre procédé pour les montres : la force de rappel de l’oscillateur est due à un ressort, et non à la gravité comme pour les pendules.
Cette technologie devient stratégique : pour la conquête du monde, l’Angleterre et la France rivalisent pour la détermination précise de la longitude, et utilisent pour cela des montres embarquées.
Vers 1880, Jacques et Pierre Curie, qui étudient l’effet piézo-électrique, suggèrent de remplacer le balancier par un cristal de quartz. En 1917, un américain, Alexander M. Nicholson, dépose un brevet de régulateur de temps à oscillateur de quartz
En 1927, un premier régulateur électronique à quartz oscillant est construit au Bell Lab.
Le prix de la longitude Alors que la latitude se mesure par la hauteur de l’étoile polaire ou de celle du Soleil au zénith, la longitude nécessite la conservation précise du temps. Le Longitude Act (1714) du parlement britannique promettait un prix de vingt mille livres pour la détermination de la longitude d’un navire en pleine mer, avec une précision meilleure que le demi-degré. A Paris, l’Académie royale des sciences décerne également des subventions dans ce même but. De nombreux candidats proposent leurs méthodes ou leurs appareils. Deux horlogers, le français Berthoud et l’anglais Harrison, proposent des solutions ingénieuses. Berthoud était issu d’une dynastie d’horlogers, et était devenu horloger du roi de France. Harrison, menuisier ébéniste, apprend le métier d’horloger sur le tas. Finalement, en 1761, après plus de trente ans et plusieurs prototypes embarqués, Harrison remporte le prix du Longitude Act. Le coût d’une de ses montres de marine équivalait environ au tiers du prix du vaisseau qui l’utilisait. Grâce à sa persuasion, Berthoud parvient à examiner et manipuler une montre candidate de Harrison ; il est déçu par les solutions mécaniques de régulation (l’échappement) : il ne saisit pas les astuces de réduction des frottements, moins visibles, qui ont assuré la qualité de la montre. Montre marine de Berthoud
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Pourquoi mesurer un temps précis
Dans les laboratoires, la mesure du temps concerne :
- Soit la conservation du temps (quelle heure est-il ?), qui implique surtout les laboratoires normatifs et les organismes en charge de la “diffusion de l’heure” (ANFr, BIPM, IERS, SYRTE, etc.) ;
- Soit la mesure précise d’un intervalle de temps, pour caractériser un phénomène physique ou une synchronisation. Entre 1920 et 1980 les applications de Défense (pyrotechnie, trajectoires hypersoniques) demandèrent aussi des prises de vues rapides, avec une mesure de positions toutes les microsecondes environ pour vérifier les calculs théoriques, et caler les simulations.
Dans les années 30, le Dr Schardin (qui sera le premier directeur allemand de l’ISL), et son collaborateur Kranz, avaient mis au point une caméra capable de filmer, en ombroscopie, à la cadence de 2 images par microseconde, les ondes de choc aériennes autour d’un projectile en vol. Le temps de pose est de quelques dizaines de nanosecondes.
Le temps, aujourd’hui
Depuis le milieu du XXe siècle, les horloges les plus précises utilisent la mesure des fréquences émises lors d’une transition atomique, idée émise dès 1879 par Lord Kelvin (futur président, de la London Royal Society). Une raie du Césium est couramment utilisée. Le passage à l’Ytterbium amènerait la précision à 2×10-18 s, soit 100 fois mieux que le Césium.
Le passage à l’Ytterbium amènerait la précision à 2×10-18 s
Depuis quelques décennies, les avancées dans la mesure du temps sont surtout motivées par les demandes liées aux systèmes de navigation par satellites, qui exige l’emploi d’horloges atomiques embarquées, périodiquement synchronisées via des stations à terre.
Les utilisations sont très nombreuses et en croissance : synchronisation de réseaux divers fixes et mobiles, positionnement précis, horodatation d’événements (dont transactions financières), transferts de temps, mise en cohérence de capteurs sur de grandes distances (astronomie notamment), ...
Les garde-temps futurs
A court et moyen terme : il faudra toujours, par petits pas:
- Miniaturiser les horloges,
- Améliorer leur stabilité en les isolant mieux des influences externes,
- Augmenter leur précision par augmentation des fréquences : trouver mieux que le Césium,
- peut-être à terme trouver d’autres sources de fréquence : transitions d’énergie des noyaux (isomères nucléaires), et pourquoi pas irrégularités gravitationnelles ? biocapteurs ?
Les applications qui feront progresser la technologie sont encore inconnues.
La vision géocentrique a tenu des millions d’années, l’héliocentrisme 2500 ans, la gravitation universelle 200 ans, la relativité un peu plus de 100 ans. Peut-être la prochaine révolution viendra-t-elle des particules élémentaires ? Peut être, alors, encore une fois, la mesure du temps sera affectée.
Jacques Vermorel
Ancien membre de l’Institut franco-allemand de recherches de Saint Louis Service des études amont au centre d’expertise et d’essais de Bourges Ancien administrateur au Secrétariat international de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord
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