SOCIÉTÉS SAVANTES ET INFORMATIQUE QUANTIQUE
UN DÉFI POUR LA FRANCE
Les sociétés savantes, en particulier anglo-saxonnes, jouent un rôle essentiel dans la révolution de l’informatique quantique, y compris à ce moment si particulier où elle pénètre la sphère industrielle, où la recherche privée vient compléter la recherche académique. Cela reste un défi pour la France, pour son rayonnement et sa souveraineté, aussi bien au niveau linguistique qu’à celui de l’évaluation internationale des chercheurs.
Les technologies quantiques disruptent deux segments de marché sur lesquels Atos est leader en Europe. D’abord, le marché du calcul de haute performance (HPC) qui voit dans le calcul quantique une possibilité de s’affranchir du ralentissement de la loi de Moore et de continuer à accélérer les calculs ; puis celui de la cybersécurité avec la menace quantique envers les algorithmes cryptologiques asymétriques qui sécurisent aujourd’hui internet. Le programme Atos Quantum a été lancé fin 2016 par Thierry Breton et s’appuie sur un conseil scientifique prestigieux.
Lancement du programme Atos Quantum le 4 novembre 2016 : Thierry Breton, alors PDG d’Atos, est entouré notamment d’Alain Aspect, de Serge Haroche, prix Nobel de physique et de Cédric Villani, lauréat de la médaille Fields.
Un laboratoire R&D a été mis en place en région parisienne, constitué de spécialistes de haut niveau (physiciens, mathématiciens, informaticiens). A été développée la QLM (Atos Quantum Learning Machine, voir illustration jointe), plate-forme de développement permettant à ses utilisateurs de coder des algorithmes quantiques, de les adapter aux différents hardwares quantiques, et d’en simuler de façon réaliste l’exécution dans un environnement hybride pour les tester. Elle connaît un grand succès commercial (des contrats signés aux Etats-Unis et Amérique du Sud, en Europe, Afrique, Japon, Inde…). La prochaine étape pour ATOS est de commercialiser un HPC hybride à l’horizon 2023, doté de capacités d’accélération quantique, qui permettront la réalisation de certains calculs, impossibles aujourd’hui comme la simulation de grosses molécules.
deux segments, le HPC et la cybersécurité
L’informatique quantique est en pleine effervescence, depuis que le mathématicien américain Peter Shor a démontré en 1994 la réalité théorique d’une accélération quantique exponentielle qu’il a appliquée au décryptement du système cryptographique RSA (à la base de la sécurisation des échanges sur Internet). On a vu s’accroître considérablement dès lors le nombre d’articles scientifiques publiés, le nombre d’algorithmes quantiques découverts, le nombre de brevets déposés, le nombre de startups, ainsi que la montagne d’argent déversé par les fonds d’investissement dans le secteur (comme en témoigne la spectaculaire levée de fonds de 650 millions de dollars de la startup américaine IonQ début 2021 via un SPAC, Special-Purpose Acquisition Company)
La question de la diffusion et du partage de l’information scientifique est à ce titre cruciale. C’est grâce à la recherche académique et à ce partage qu’a commencé la révolution de l’informatique quantique. Les sociétés savantes anglo-saxonnes figurent au premier plan de la diffusion de l’information scientifique, elles sont même au cœur de l’évaluation des chercheurs entre eux grâce aux publications dans les journaux à comité de lecture qu’elles éditent : American Association for the Advancement of Science (qui édite Science Magazine), APS (American Physics Society, qui édite les Physical Reviews et ORX Quantum, l’IOT (Institute of Physics, britannique, qui édite New Journal of Physics and Quantum Science Technology) et peut-être la plus importante en taille, l’IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers, forte de 423 000 membres dans 160 pays qui édite notamment IEEE Transactions on Quantum Engineering), homologue de notre SEE (Société de l’électricité, de l’électronique et des technologies de l’information et de la communication). N’oublions pas l’éditeur scientifique anglo-allemand SN (Springer Nature, qui édite, entre autres, SN Computer Science, Nature Physics et la célèbre revue Nature). Il va sans dire que la langue anglaise est obligatoire pour tout chercheur qui veut se faire connaître. La composition des comités de lecture avantage inévitablement le monde anglo-saxon.
La recherche académique (avec le support des sociétés savantes) a posé les bases de l’informatique quantique et la rend possible. Cette dernière connaît une nouvelle évolution depuis 3 ans, en montant en niveau de maturité (mesuré en TRL, Technology Readiness Level), en ouvrant des perspectives économiques viables de retour sur investissement ; elle gagne désormais le paysage industriel : c’est un enjeu économique pour les États que de capter cette industrie naissante (enjeu double, car s’ajoute celui de sécurité nationale). Les startups se multiplient (leur nombre a doublé en 2 ans), les investisseurs se positionnent massivement (cf. supra), les États accélèrent ce transfert par des plans nationaux ambitieux (1,8 milliard d’euros pour la France, annoncés par Emmanuel Macron en janvier dernier). Les entreprises mettent en place des équipes de R&D comme Atos en 2016, avec la jeune équipe Atos Quantum, formée de chercheurs salariés qui n’ont pas à rougir face à leurs pairs académiques. Cette équipe publie plusieurs articles scientifiques par an, le dernier en date dans la revue IEEE Transactions on Quantum Engineering1. En outre, deux chercheurs d’Atos ont été conviés par l’American Physics Society (cf. supra) au prestigieux APS March meeting 2020 pour y présenter deux articles, l’un sur l’optimisation quantique2 et l’autre sur le recuit quantique3. Elle dépose également de nombreux brevets, condition sine qua non d’un développement industriel sécurisé. On voit bien qu’au fur et à mesure qu’une technologie devient mature et que s’ouvrent des perspectives industrielles, la recherche s’étend naturellement dans les entreprises privées, et ces dernières restent au contact des sociétés savantes et de la recherche académique (ponts, essaimages, partenariats croisés, mobilités, chaires industrielles4, Conventions industrielles de formation par la recherche, formations en alternance, etc.).
Les sociétés savantes françaises sont actives sur le terrain quantique (Société Physique de France -2800 adhérents-, Société Chimiste de France, SEE -cf. supra-, etc.) en termes de réseautage, d’évènementiel, de communication (responsabilité de prix prestigieux de la sélection à la remise). Elles sont engagées dans la révolution de l’informatique quantique, mais il serait hautement profitable que se développent en France des revues scientifiques à comité de lecture dans lesquelles ces sociétés savantes pourraient s’investir à l’instar de leurs pairs anglosaxons, et donner une plus grande place aux chercheurs français dans les comités de lecture.
1 : https://ieeexplore.ieee.org/document/9459509?source=authoralert
2 : Running large quantum circuits on small quantum computers
3 : Assessing the potential of Rydberg atoms for adiabatic quantum computing of an NP-hard problem
4 : Comme la chaire industrielle « Nouvelle architecture de spins nucléaires pour l’information quantique - NASNIQ » du CEA cofinancée par Atos et l’ANR
Philippe Duluc
Philippe Duluc, diplômé de l’Ecole Polytechnique, Ingénieur en chef de l’Armement, a débuté sa carrière au ministère de la Défense, puis dans les services du Premier ministre. Après 20 ans de service, il rejoint le secteur privé, d’abord en charge de la sécurité d’Orange, puis de l’offre Cybersécurité de Bull. Il est désormais directeur technique d’Atos, en charge du big data, du HPC, de la cybersécurité, des systèmes critiques et du calcul quantique.
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