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56 m de haut, 530 tonnes, Ariane 6 a réussi son vol inaugural le 9 juillet dernier en mettant en orbite 11 satellites
18 octobre 2024

LE CENTRE SPATIAL GUYANAIS (CSG) : PORT SPATIAL DE L’EUROPE ETACTEUR CENTRAL DU DÉVELOPPEMENT DE LA GUYANE

Le 21 mars 1964, le général de Gaulle adresse à Cayenne un message fort aux Guyanais en ces termes : « Nous avons à réaliser, vous sur place et la France avec vous, une grande œuvre française en Guyane ». Son Premier ministre décidera moins d’un mois plus tard de retenir le site de Kourou pour y implanter une base de lancement spatial et le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), en seulement trois ans, dotera la France d’un outil-maître pour sa politique spatiale qui bénéficiera grandement au développement de la Guyane.


Les développements d’un lanceur et d’une base de lancement sur le territoire national ont été des objectifs centraux de la politique spatiale française dès ses origines. Notre pays a consenti des efforts considérables en ce sens et le CSG incarne, depuis son inauguration en 1968, la volonté française de disposer d’un accès autonome à l’espace.

Situé 5 degrés au-dessus de l’équateur, en bord de mer et dans une zone épargnée par les cyclones et les séismes, le CSG offre de nombreux avantages. Sa position permet de profiter d’un effet de fronde maximum pour les lancements vers l’Est et assure le maximum de sécurité pour tous les tirs du Nord jusque vers l’Est puisque dans ce large secteur angulaire, la trace au sol du lanceur survole l’océan. Implanté sur le territoire national, le CSG permet de plus à notre pays de lancer des satellites militaires dans le respect des règles de protection du secret et en s’affranchissant de toute contrainte liée à l’exportation.

De nombreux acteurs interagissent sur le site du CSG, qui a pris une dimension européenne avec le programme Ariane à partir de la fin des années soixante-dix. Par un accord intergouvernemental établi en 1975, la France a mis les moyens de la base à disposition de l’Agence spatiale européenne (ESA), ce qui fait aujourd’hui du CSG le « port spatial de l’Europe ». Le CNES y est l'autorité de conception de tous les moyens et assure la gestion financière et technique du centre en assurant la coordination générale de la préparation des satellites et des lancements. Le CNES est également garant de la sécurité des personnes et des biens au travers de la fonction régalienne de sauvegarde. En tant que maitre d’ouvrage des lanceurs européens Ariane et Vega, l’ESA a quant à elle financé de nombreuses installations techniques dont elle est aujourd’hui propriétaire. Arianespace, troisième acteur clef du CSG, commercialise les services de lancement, exploite les ensembles de lancement et met en œuvre les lanceurs développés par l’ESA. Après leur traversée de l’Atlantique depuis l’Europe où ils sont construits, ces derniers sont préparés sur place pour les tirs par leurs maitres d’œuvre industriel respectifs, ArianeGroup et Avio. Au CSG, sont aussi importés ou produits les différents fluides et carburants nécessaires aux tirs, tandis que les propulseurs à poudre sont assemblés et conditionnés sur place par des industriels spécialistes du domaine comme Air Liquide, Europropulsion ou Regulus. Au total, plus de quarante entreprises européennes provenant d’une dizaine de pays différents sont aujourd’hui présentes au CSG.

La sécurité reste évidemment au cœur des opérations de lancement, qu’il s’agisse de la préservation des personnes et des biens en cas d’accident ou de la protection vis-à-vis d’une menace pour le lanceur ou les satellites. En coordination étroite avec le CNES, les Forces Armées en Guyane (FAG) interviennent au côté de la gendarmerie nationale pour assurer la protection du CSG, classé installation prioritaire de défense. Stationné à Kourou, le 3ième Régiment étranger d’infanterie a pour mission principale la protection du CSG. Pour chaque lancement est déclenchée l’opération Titan, qui mobilise entre 150 et 400 militaires de toutes les armées en fonction de la nature et de la sensibilité du tir. Pour certains lancements particulièrement sensibles, un dispositif de sûreté aérienne renforcé est déployé.

Le CSG bénéficie aujourd’hui d’une renommée mondiale qu’il entend maintenir, en modernisant ses installations et en s’ouvrant à de nouveaux acteurs. La modernisation s’impose pour faire face aux enjeux de la transition énergétique et d’une activité en nette augmentation dès l’année prochaine, avec plus d’une dizaine de lancements annuels prévus. Elle est aussi rendue nécessaire pour rendre le CSG plus compétitif, alors que d’autres bases de lancement se créent partout dans le Monde y compris en Europe. Le pas de tir utilisé dans les années soixante pour lancer les fusées françaises Diamant est ainsi en cours de réhabilitation afin de permettre le tir de mini et micro-lanceurs européens à partir de 2025. L’ensemble de lancement Soyouz fait aussi l’objet d’une rénovation afin d’accueillir un nouveau lanceur européen.

Outil maître de la politique spatiale française et européenne depuis sa création, le CSG l’est aussi pour le développement de la Guyane. L’impressionnante augmentation du nombre d’habitants à Kourou le révèle tout particulièrement : il est passé de moins de sept cents en 1964, au moment de la décision de création du CSG, à environ vingt mille aujourd’hui.

Il faut sans doute s’attarder sur la réalité guyanaise d’aujourd’hui pour saisir la pleine dimension de l’effet d’entrainement de la filière spatiale sur l’économie locale. La Guyane est la région européenne qui, après Mayotte, connait le plus fort taux de croissance démographique ; c’est un PIB par habitant inférieur de 45 % à la métropole et c’est enfin un très fort taux de chômage qui avoisine les 30 %.

Or, selon une étude de l’INSEE, l’impact du secteur spatial dans l’économie guyanaise représentait en 2019 environ 13 % du PIB, après en avoir même représenté plus du double jusque dans les années quatre-vingt-dix. Ce chiffre reste exceptionnellement élevé et sa diminution en pourcentage ne s’explique que par l’explosion démographique guyanaise (doublement de la population entre 1990 et 2019) et une « tertiarisation » de l’économie. La filière spatiale est aussi un fort pourvoyeur d’emplois, puisqu’elle représente un emploi salarié privé sur six (4 500 emplois) et que l’activité du CSG et des familles de ses employés génère 1 250 emplois supplémentaires. Tout emploi créé au CSG génère 1,24 emploi dans le reste de l’économie et, en termes de valeur ajoutée, pour 100 euros injectés par le CSG dans l’économie locale, ce sont 58 euros de richesse supplémentaire qui y sont créés, ce qui traduit un effet multiplicateur remarquable. On peut compléter le tableau en soulignant qu’environ le tiers de l’investissement guyanais est impulsé par le CSG et que l’activité spatiale représente près de la moitié des importations du département et plus des trois-quarts de ses exportations.

Au-delà de ses activités techniques, le CNES participe au développement économique, social et culturel de la Guyane au travers de nombreuses initiatives. C’est une enveloppe annuelle d’environ 10 M€ qui est affectée à de nombreux projets locaux.

Tout ceci montre très clairement tout à la fois le très fort avantage que représente l’implantation du CSG en Guyane pour la politique spatiale française et européenne mais aussi tout le bénéfice apporté à l’économie guyanaise par les activités spatiales. Ces deux faces de la même pièce doivent être traitées de la même façon et pour ce faire, le CNES s’applique à maintenir une politique forte en soutien de la Guyane.

Article rédigé avec la collaboration du Général Philippe Steininger, conseiller militaire du Président du CNES et de Marie-José Gauthier, Chef du service « Espace pour la Guyane » au CSG.

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Lionel Suchet, IGA, Directeur Général délégué du CNES

Lionel Suchet (X, Supaéro) a commencé sa carrière au Cnes (vols habités). Chef du service des projets scientifiques du Cnes en 2004, sous-directeur de l’ensemble des projets orbitaux, puis Directeur Adjoint du Centre Spatial de Toulouse en 2011, il crée la Direction de l’Innovation, et des Applications et de la Science en 2016. Il devient Directeur Général délégué du Cnes le 28 août 2017.

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