POUR UNE NOUVELLE ETAPE DE LA POLITIQUE D’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE
Longtemps politique phare, l’aménagement du territoire a permis le rééquilibrage du maillage urbain dans l’espace français, par le développement de métropoles régionales. Toutefois, cette « métropolisation » n’a pas marqué la fin des disparités « Paris-province » sur le plan économique et est par elle-même porteuse de défis nouveaux. Il revient à la puissance publique d’engager une nouvelle étape dans l’aménagement du territoire, visant, conformément à sa vocation, à la répartition harmonieuse des richesses, des activités et des hommes. L’enjeu est de taille car il en va de la préservation de notre contrat social.
Avant d’être une politique publique, l’aménagement du territoire est d’abord une idée, née de l’association d’une géographie, d’une histoire et de principes politiques fondateurs, ceux de la République et de notre contrat social. L’objectif premier de l’aménagement du territoire, sa promesse pourrait-on dire, est d’inscrire dans l’espace le principe de solidarité nationale, par une intervention en faveur des territoires jugés défavorisés. Il s’agit de « rendre possible une transformation matérielle de l’espace français (…), au nom de l’harmonie et de l’équilibre de son occupation ».
Cette approche, vecteur d’équité et de régulation des déséquilibres spatiaux, constitue une responsabilité fondamentale de la puissance publique. Elle fut longtemps exercée au premier chef par l’État lui-même et ce, avec un réel succès.
Il est en effet bien loin le temps de l’opposition entre « Paris et le désert français », popularisée par Jean-François Gravier en 1947. Cet ouvrage mettait en lumière une France déséquilibrée et, réédité en 1958, influença substantiellement le Général de Gaulle, qui décida une politique ambitieuse d’aménagement du territoire coordonnée par la célèbre - et presque mythique - Datar (Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l’action régionale), créée en 1963.
Les politiques alors engagées de « décentralisation industrielle » et surtout de « métropoles d’équilibre » ont très largement contribué à façonner le territoire français, qui présente désormais un maillage urbain relativement équilibré. Si la métropole parisienne est restée prépondérante (et constitue encore aujourd’hui l’une des rares « villes-monde »), il s’est développé en France un réseau d’aires urbaines, structuré autour de 11 métropoles régionales de plus de 700 000 habitants et d’une quarantaine de grandes agglomérations comptant au sein de leur aire d’attraction entre 200 000 et 700 000 habitants. Ces centres urbains régionaux sont aujourd’hui, grâce à leurs infrastructures en matière d’enseignement supérieur, de santé et de loisirs ainsi que par l’effet de la décentralisation, à même d’assumer des rôles de décision et de direction pour leurs territoires alentours.
Ce rééquilibrage du territoire national marque-t-il la fin de l’impératif d’aménagement du territoire ? Certainement pas. Car le développement des métropoles régionales n’a pas comblé les disparités « Paris-province » sur le plan économique ; car de nouvelles difficultés sont apparues, qu’il convient désormais de traiter.
En 2020, le PIB de l’Île‑de‑France (2 300 milliards d’euros) représente toujours plus de 30 % du PIB national, contre 12 % pour la deuxième région, Auvergne-Rhône-Alpes. Autre chiffre révélateur de la concentration des activités économiques du pays, le PIB par habitant est supérieur à la moyenne nationale (34 100 euros) uniquement en Ile-de-France, avec 57 600 euros. Le PIB par habitant en France métropolitaine hors Île‑de‑France est presque deux fois plus faible (29 200 euros) qu’en Ile-de-France. A l’échelon européen, l’Ile-de-France est la seule région de France à dépasser très largement la moyenne européenne du PIB par habitant en 2022 (la région PACA dépasse également cette moyenne mais très légèrement). Il en va différemment chez nos voisins allemand et italien, qui comptent plusieurs régions avec un PIB par habitant au-dessus de la moyenne européenne, signe d’un développement économique mieux réparti, notamment grâce à un tissu industriel plus diffus.
PIB par habitant et par région, exprimé en pouvoir d’achat. Hormis l’île de France et PACA, la France est sous la moyenne européenne
D’autres défis se posent à nous ; trois questions au moins peuvent être citées.
En premier lieu, la métropolisation du territoire national a eu pour effet de diffuser dans les grandes aires urbaines certains des maux constatés avec l’hyper-concentration parisienne. Les difficultés de logement et de transport ne sont plus le lot des seuls Franciliens. Répandues désormais dans l’ensemble du territoire, ces difficultés font de la France le pays d’Europe dans lequel le temps moyen de transport entre le domicile et le travail est le plus long : 1h13 par jour, soit 10 minutes de plus qu’en Grande‑Bretagne, 12 minutes de plus qu’en Allemagne ou 24 minutes de plus qu’en Finlande.
En deuxième lieu, la métropolisation tend à « assécher », à « stériliser » les espaces aux environs des centres urbains et entre les centres urbains. Bien que ce travers ait été relevé dès le début des années 70 et que des efforts substantiels en faveur des « villes moyennes » aient été fournis, certaines zones situées à la périphérie des villes (les zones « périurbaines ») et dans le monde rural sont aujourd’hui dans une situation d’isolement voire de marginalisation. Il en résulte un puissant sentiment d’abandon, qui fragilise le rapport à la citoyenneté.
Enfin, doivent être examinées précisément les relations réciproques entre les métropoles, et en particulier leur projection vers la région-monde, l’Ile de France. Quelles doivent être demain les infrastructures et les offres de transport adaptées entre les aires métropolitaines ? L’organisation « en toile d’araignée », qui fait de Paris un passage souvent obligé pour relier les métropoles, doit être évaluée, à l’heure où le TGV a redessiné la carte de France par un « puissant effet de polarisation » spatiale, entre des zones non desservies et des régions desservies par le TGV. Si Lille (une heure de trajet), Bordeaux (deux heures) ou Marseille (trois heures) se sont « rapprochées » de Paris, d’autres villes s’en sont « éloignées » (Limoges, Clermont-Ferrand).
On le voit, la réalité de l’espace français, qu’il convient de regarder avec lucidité, appelle une nouvelle étape de la politique d’aménagement du territoire. Le Haut-commissariat au Plan entend consacrer ses prochains travaux à cette politique, nécessairement transversale et de long terme, par nature interministérielle et plurisectorielle. On ne peut donc que se réjouir que la communauté des ingénieurs de l’armement, coutumiers des projets complexes, éclaire à travers la revue qui les fédère la difficile et impérieuse question du devenir du territoire français.
Conseiller d’État, Philippe Logak a débuté sa carrière à la DGA, notamment au MOP Coelacanthe (SNLE). Devenu membre du Conseil d’État, il a été conseiller auprès de Christine Lagarde, ministre de l’Économie, puis directeur-adjoint du cabinet de Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il devient secrétaire général de SFR puis du groupe Thalès. Depuis la re-création du Haut-commissariat au Plan en 2020, il en est le rapporteur général puis le secrétaire général.
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