LE LASER MÉGAJOULE À BORDEAUX
FOCALISATION DES FILIÈRES OPTIQUE ET LASER
En 1995, le gouvernement français décide d’implanter au sud de Bordeaux le Laser MégaJoule. Outil incontournable du programme Simulation, il permettra d’assurer la garantie des performances de fiabilité et sûreté des armes nucléaires à long terme, après l’arrêt programmé des essais nucléaires. Cette décision politique va entraîner le développement de filières industrielles, scientifiques et académiques en Nouvelle Aquitaine.
Dans les années 60, le Centre d’Etudes Scientifiques et Techniques d’Aquitaine (CESTA) de la Direction des Applications Militaires (DAM) du CEA avait été créé dans un grand mouvement d’aménagement du territoire pour agglomérer un « complexe militaro industriel » au service de la dissuasion naissante, dans les landes girondines autour des « poudres » de St-Médard-en-Jalles et des centres d’essais de Cazaux et Biscarrosse.
De Mururoa à Bordeaux
Suite à la décision du président de la République Jacques Chirac d’arrêter définitivement les essais nucléaires et d’assurer la pérennité des armes nucléaires grâce au développement de la simulation, le choix du site d’implantation du Laser MégaJoule (LMJ), grand instrument de physique du programme Simulation, se porte sur le CESTA. Celui-ci dispose de disponibilités foncières importantes et d’une géologie favorable au respect des exigences très spécifiques à cette installation en termes de stabilité, les graves permettant de filtrer naturellement les vibrations liées aux activités humaines.
Le LMJ, à quoi ça sert ?
A l’acquisition de données physiques élémentaires de la matière dans des conditions thermodynamique proches du fonctionnement des armes nucléaires (GBar et MK)
A la validation par partie des modèles qui permettent les simulations de fonctionnement des charges thermonucléaires
A la formation et au maintien des compétences des physiciens et des concepteurs d’armes
A la recherche fondamentale pour l’astrophysique, la physique des hautes énergies et les énergies du futur
A asseoir la crédibilité scientifique de la dissuasion en l’absence d’essais nucléaires
La recherche scientifique et la formation, socle du développement technique
Les acteurs régionaux identifient rapidement le bénéfice potentiel de cette décision. Le Conseil Régional, l’Université de Bordeaux et le CNRS, en collaboration avec le CEA, créent dans la décennie suivante une unité mixte de recherche (CELIA : Centre Lasers Intenses et Applications) et un ensemble de formations initiales et continues de tous niveaux. SupOptique rejoindra la région bordelaise 10 ans plus tard en délocalisant une 3ème année spécifique. Ces différentes formations permettent par exemple au CELIA d’accueillir en permanence une quarantaine de doctorants qui constituent un vivier important pour les recrutements nécessaires au développement de la filière photonique.
La Région décide en parallèle d’investir avec le soutien de l’État et de l’Union européenne dans le laser PETAL (PETawatt Aquitaine Laser), laser à impulsion ultra-courte dont l’objectif est de soutenir la recherche fondamentale mais également les développements technologiques menés pour concevoir et réaliser ces lasers exceptionnels. Dans le cadre de l’ouverture des moyens de la Simulation de la DAM décidée au début des années 2000 par le ministère de la Défense, PETAL est implanté dans l’installation LMJ et cet ensemble est mis à disposition de la communauté scientifique française et internationale pour 20% à 30% du temps d’exploitation. L’ensemble LMJ-PETAL est une installation unique au monde pour l’étude de la physique des hautes densités d’énergie. Par exemple, un plasma turbulent, créé par des faisceaux du LMJ, a pu être sondé par un faisceau de protons de haute énergie créé par PETAL, pour mesurer l’efficacité de l’effet dynamo à l’œuvre dans l’amplification des champs magnétiques interstellaires. Ce type d’expérience mené en collaboration internationale contribue à assurer la crédibilité scientifique de la dissuasion en l’absence d’essais nucléaires.
Un écosystème numérique dans la campagne essonnienne
C’est aussi grâce au programme Simulation de la DAM que s’est développée dans l’Arpajonnais une technopole unique en France, regroupant plusieurs centres de calculs, pour la dissuasion, la recherche scientifique, technologique et académique, et bientôt une machine quantique. Elle associe également un centre de compétence permettant de promouvoir la simulation numérique et d’orienter le développement des futurs calculateurs.
Un réseau en expansion
Si de nombreuses entreprises en France participent à la construction du LMJ, beaucoup d’entre elles décident de s’implanter à proximité de l’installation pour la phase de réalisation mais aussi pour la phase d’exploitation et de maintenance qui va s’étendre sur plusieurs dizaines d’années. Une société d’économie mixte locale, créée en 2004, permet de proposer aux entreprises souhaitant se développer dans la région, des infrastructures et des terrains sur 4 sites proches de Bordeaux ou du CESTA. Un centre de recherche et développement technologique (Alphanov) est également créé quelques années plus tard pour favoriser les transferts vers l’industrie et la création de start-up.
Depuis 2014, l’« Institut d’Optique d’Aquitaine », bâtiment de 20 000 m2 construit par la région, rassemble pour une meilleure synergie les acteurs de la filière : gouvernance, enseignement, développement technologique, laboratoires de recherche, antennes industrielles... Il a servi de pépinière à de nombreuses start-up essaimées des différents laboratoires.
Enfin, le redécoupage régional de 2015 a permis un rapprochement entre les pôles de compétitivité aquitains et limousins avec la création du pôle « Route des Lasers et des Hyperfréquences » (ALPHA-RLH) qui a déjà labellisé plus de 1500 projets. La DAM peut ainsi bénéficier de manière beaucoup plus efficace des compétences développées autour de Bordeaux et Limoges, désormais regroupés au sein de la région Nouvelle-Aquitaine.
La région a su attirer une centaine d’entreprises et favoriser la création de plus de 100 start-ups, 4 000 emplois directs hautement qualifiés et 12 000 emplois induits. Certaines entreprises ont bénéficié directement des contrats du CEA. D’autres sociétés sans lien avec le LMJ ont pu également se développer grâce à l’écosystème mis en place, à l’instar d’Amplitude, devenue en quelques années un des leaders mondiaux dans la fourniture de lasers nano et femto seconde pour l’industrie et la médecine.
Bientôt le soleil en Aquitaine ?
Presque 30 ans après la décision d’implantation du LMJ, dans le cadre de l’appel à projet « France 2030 » pour les réacteurs nucléaires innovants, les acteurs de la filière ont obtenu un financement pour soutenir la start-up GenF, portée par THALES en collaboration avec les UMR CELIA (Université de Bordeaux, CNRS, CEA) et LULI (X, CNRS, CEA, Sorbonne Université), et avec le soutien du CEA. Ce projet vise à développer un réacteur électrogène basé sur la fusion thermonucléaire par confinement inertiel au moyen de lasers de puissance.
Le chemin sera encore long et les défis scientifiques et techniques restent nombreux, mais peut-être les décisions de 1995 conduiront-elles un jour, grâce aux réactions nucléaires du soleil, à la production d’énergie propre et durable sur le territoire néo-aquitain ?
%IL’institut d’Optique d’Aquitaine, creuset des collaborations entre les acteurs
Denis Vacek (X91-Sup’Aéro) a débuté sa carrière à DGA/EM, principalement en tant que responsable des essais de missiles nucléaires. Il a ensuite alterné au CEA des postes de programme et de management, dans le domaine de la garantie des performances par la simulation et de l’architecture des armes ou à la DRH, avant de prendre en 2023 la direction du programme Simulation à la Direction des Applications Militaires.
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