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Nicolas Chamussy (debout au centre) en pleine explication
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28 octobre 2023

DÎNER-DÉBAT CAIA DU 3 MAI AVEC NICOLAS CHAMUSSY
« NEXTER À L’HEURE DE L’ÉCONOMIE DE GUERRE ET DE LA HAUTE INTENSITÉ”

Ce troisième dîner-débat de la CAIA a permis de recevoir un grand industriel de la défense français et européen. Comme toujours, la grande liberté de ton implique que la teneur détaillée des échanges reste en confidentialité entre les participants au dîner.


Le parcours de N. Chamussy l’a conduit des laboratoires de l’US Air Force au Nouveau Mexique jusqu’à la tête d’Astrium en passant par les directions de programmes en coopération et le cabinet de Charles Millon. Il a passé en tout neuf ans en Allemagne.

Économie de guerre

La notion d’économie de guerre a fait irruption dès l’attaque russe, sous la forme d’une question assez incongrue : « Qu’a Nexter en magasin à livrer sous quinze jours ? » Or Nexter produit et livre conformément à un contrat notifié par un client, et ne stocke pas des produits finis à emporter. La question devient alors rapidement un vrai défi : « Comment produire plus, plus vite et dans un contexte d’autonomie stratégique ? » L’histoire apporte un premier éclairage. La forêt du Tronçais a été plantée par Colbert pour fournir des chênes pour les futures coques des navires, au lieu d’acheter des grumes à Riga. De même, pour la mâture, une source d’approvisionnement est identifiée au fin fond de la vallée d’Aspe. Le Chemin des mâtures, cavité à flanc de falaise que l’on peut encore parcourir aujourd’hui, est créé pour acheminer les troncs avant de les embarquer pour Rochefort. Déjà, l’économie de guerre reposait sur les trois volets «produire plus, plus vite et en autonomie stratégique ». Dans un contexte de guerre en Ukraine, l’actualité se traduit par une pression politique forte, avec le cas emblématique du Caesar. Sans commande publique française de matériel neuf entre 2004 et 2022, sa production perdurait grâce à l’export, au rythme de production de 2 par mois en moyenne et un cycle de 24 à 30 mois. L’objectif est maintenant de 4 à 6 par mois, avec un cycle de 12 mois. Nexter a optimisé ses process et devrait atteindre un cycle de 17 mois et une cadence de 6 par mois fin 2023, puis 8 par mois en 2024. La coopération avec les partenaires industriels de la supply chain a été encore renforcée, notamment avec Aubert et Duval, qui fournit les ébauches métalliques.

Beau défi, avec un effet pervers (gérable) puisque l’accélération de production crée des trous dans le plan de production. En parallèle, Nexter poursuit la montée en cadence de production des Jaguar, Griffon et Serval pour atteindre un volume de 450 véhicules neufs livrés par an, en partant de zéro en 2017.

De même, dans le domaine des munitions de gros calibre, la consommation ukrainienne estimée est de 6 000 à 7 000 obus de 155 mm par jour, et la consommation russe de l’ordre de 15 000. Nexter pouvait produire 40 000 obus de 155 mm par an en France, et 20 000 en Italie. Il est aujourd’hui prévu de livrer 90 000 obus par an début 2024, avant de quadrupler plus tard la cadence si nécessaire.

Pour cela, il a fallu investir quelques centaines de M€ avec une pression politique parfaitement compréhensible et légitime, sans commande initiale, tout en pilotant les indicateurs économiques de l’entreprise. Le contexte d’économie de guerre ne doit pas faire oublier que nous sommes en même temps en guerre économique.

Il faut enfin noter que la LPM (alors en cours d’examen) prévoit non seulement un droit de réquisition, qui peut avoir un impact éventuel sur la confiance des clients export dont les livraisons seraient retardées, mais aussi une contrainte de constitution de stocks sans compensation financière.

La guerre en Ukraine a aussi donné naissance à un grand nombre de mécanismes contractuels et budgétaires. Les AMX10 RC, blindés de l’armée de Terre, ont été sortis des parcs d’entraînement ou régimentaires, donc sans contrat avec Nexter. En France, ces AMX10 RC seront remplacés par des Jaguar. S’agissant des Caesar, l’Ukraine reçoit des canons de l’armée française remis à niveau, remplacés le plus rapidement possible par Nexter. Les mécanismes européens ont permis aussi des commandes au profit de l’Ukraine, avec 40% de remboursement par l’UE. Nexter a ainsi fourni des offres commerciales directes à l’Ukraine, ou via d’autres pays.

Enfin dans le domaine du MCO, un flux de soutien a été mis en place avec l’Ukraine. KNDS a tenté de mettre en place des hubs de réparation en Pologne et en Croatie, ce qui n’est pas si facile car à chaque fois, c’est de l’import-export de matériel de guerre.

Autour de KNDS et du MGCS

Nexter et KMW sont depuis 2015 filiales à 100% de KNDS, chacune disposant de son portefeuille de produits et d’une organisation industrielle complète. Au sein de KNDS, N. Chamussy est DG France, et a également un rôle transverse sur les sujets Procurement / Qualité / Production et un programme actif d’intégration progressive est mis en oeuvre. Les structures des véhicules Nexter sont en aluminium, alors que celles des véhicules de KMW sont en acier, etc. On teste la production d’un élément d’une entité par l’autre entité, mais cela prend du temps (CIEEMG…). Le programme MGCS (Main Ground Combat System) devrait être le premier programme majeur d’armement terrestre en coopération franco-allemande.

Le MGCS part d’un contexte assez simple : la version Mk 2 du char Leclerc, qui sera une vraie nouvelle version, est en cours de développement, et vivra quelques décennies. Le Léopard 2 qui, à l’instar du Rafale, a connu un développement incrémental, est un grand succès à l’export et continue à être produit. Il en résulte une différence structurelle entre la France et l’Allemagne : quel que soit l’avenir du MGCS, l’Allemagne aura une solution intérimaire ou pérenne à base de Léopard II. Par ailleurs, la France insiste sur le combat collaboratif, et l’emploi en termes de système.

Le MGCS, sous leadership allemand, a été pensé comme le pendant du SCAF, sous leadership français. Le principe est le même : 50/50 en qualité et quantité des travaux dans chaque pays. Mais la participation de Rheinmetall a beaucoup perturbé et retardé le lancement de ce programme, conçu sous maîtrise d'œuvre de KNDS. On en est donc encore aux études d’architecture de niveau système. Nous nous dirigeons vers un démonstrateur, mais la suite n’est pas écrite. Pour la France, qui a besoin d’un système, on évoque une solution intérimaire EMBT, soit française, soit franco-allemande (châssis français et tourelle française). «Pour que cela fonctionne, nous avons besoin d’une bonne fée. »

Réponses aux questions

Interrogé sur l’avenir des grands corps de l’État, N. Chamussy insiste sur la fluidité nécessaire entre l’industrie et l’appareil étatique : « Il est très important que chacun connaisse les deux côtés de la barrière pour fluidifier les relations État-industrie. Par ailleurs, il faut renforcer la maîtrise technique des ingénieurs de l’armement et que la DGA continue à attirer les meilleurs. »

Les réglementations de type Reach ou d’interdiction des moteurs thermiques s’appliquent (y compris pour le chromage des tubes) mais il y a et il y aura des exemptions pour le matériel militaire, mais qui freineront la synergie avec le marché civil.

La compétitivité se heurte au nombre d’industriels et aux règles en vigueur de retour géographique. A contrario, l’usine Space X qu’il a visitée semble simple : des rouleaux de tôle qui y entrent, et des lanceurs en sortent. En Europe, de nombreux industriels interviennent dans le développement et la production des lanceurs. C’est une politique compréhensible mais elle n’est certainement pas compatible d’un objectif de compétitivité économique, notamment face à une entreprise comme Space X qui peut optimiser en permanence son organisation industrielle.

En conclusion, une très bonne participation avec une variété de générations d’IA présents et des échanges très intéressants qui ont permis à l’assistance de mieux connaitre la situation d’un secteur industriel de l’armement que le récent conflit ukrainien a remis sous les feux de l’actualité.

Auteur

Programmes et systèmes
Armées / DGA / Industrie / Numérique
Manager d’équipes multidisciplinaires et multiculturelles
Vision politique, stratégique et technique.
Expériences de terrain et hauteur de vue
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