DRONES : FAIRE AUTREMENT
Par sa richesse et la variété des contributions, ce numéro du Magazine des ingénieurs de l’armement illustre toute la complexité du sujet de la robotisation, incontournable aujourd’hui. Mêlant nouvelles technologies, intelligence artificielle, numérisation ou encore organisation des structures de commandement et préoccupations éthiques, les drones et leur emploi constituent un exemple évident des défis qui nous sont posés en ce début de siècle.
Soyons lucides : dans ce domaine, la France a encore énormément à faire. Retard par rapport à certains de nos partenaires, retard par rapport à nos compétiteurs : nous ne sommes pas les premiers à nous lancer dans l’aventure. Or, l’aptitude à mettre en œuvre des systèmes automatisés, quel que soit le milieu, contribue de manière significative à la crédibilité d’une armée, et donc à sa capacité à peser dans les rapports de force. Le Bayraktar TB2 turc le montre bien : utilisé en Libye, en Syrie, au Haut-Karabagh et plus récemment en Ukraine, ce drone aérien jouit aujourd’hui d’une réputation sans aucun doute supérieure à son impact réel en opération.
Il me semble que nous ne devons pas tenter de combler ce retard en tentant simplement de reproduire ce qui existe déjà. Nos efforts doivent viser à transformer nos lacunes actuelles en opportunités et nous permettre de préparer la prochaine guerre. Pour y parvenir, il nous faut prendre en compte plusieurs points.
Le premier d’entre eux est l’importance d’effectuer un véritable bond intellectuel et conceptuel, pour penser les combats de demain (ou d’après-demain). Il s’agit notamment d’embrasser pleinement le potentiel des équipements robotisés, au-delà de leur fonction actuelle de substitut de capacités habitées existantes. Cela vaut pour l’emploi de drones par nos armées autant que pour la prise en compte des drones ennemis. Cela exige un investissement conséquent en termes de doctrine et d’expérimentation : les armées doivent développer des concepts exploratoires, expérimenter, éprouver. À partir de ces réflexions initiées par diverses avancées, notre ambition doit être plus grande. Dans le futur, ce sont probablement aussi des unités complètes de drones, sur terre, sur et sous les mers, dans les airs et – inévitablement – dans l’espace qui manœuvreront. À l’état-major des armées revient la charge d’anticiper et de cadrer l’ensemble de ces travaux et de s’assurer de leur pertinence et de leur efficacité.
Le deuxième est à mon sens de questionner notre rapport à la technologie. La prolifération des drones à laquelle nous assistons est rendue possible par le recours à une technologie maîtrisée, accessible à des coûts très réduits. L’emploi de ce type de drones gagne en pertinence si l’on intègre d’emblée la possibilité d’une attrition élevée. On a ainsi vu apparaître la notion de « drone consommable », par essence opposée à la logique qui prévaut aujourd’hui en France et qui aboutit à des coûts de nos équipements qui interdisent achats en grandes quantité et emploi « en masse ».
Le troisième tient au fait de changer radicalement notre manière de travailler. Nous devons gagner en agilité et en rapidité, faire de l’audace et de la prise de risque une culture solidement ancrée, y compris dans nos processus d’acquisition, si nous voulons suivre le rythme imprimé par les changements technologiques en cours. La préparation de l’avenir est une mission commune des armées et de la DGA, qui se traduit à mon niveau par des échanges réguliers avec le Délégué. Nous devons envisager en permanence l’évolutivité et l’intégration de nouvelles capacités, y compris au-delà de l’horizon traditionnel de la LPM. Bien sûr, audace et risques ne vont pas sans erreurs ni échecs. Il est alors tout aussi essentiel de faire preuve de lucidité et de courage pour le reconnaître, et pour, le cas échéant, mettre fin à un programme mal engagé ou sans avenir. C’est à ce prix que nous regagnerons des marges de manœuvre.
Ma conviction est que le domaine des drones peut nous permettre de démontrer toute l’étendue de nos capacités d’innovation, de notre ambition et de notre volonté de travailler autrement. Il en va de l’efficacité opérationnelle de nos armées tout autant que de la solidité de notre BITD.
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