FRANCOIS LECOINTRE
Chef d'Etat Major des Armées
Préface du Chef d'Etat Major des Armées François Lecointre
“Faire autrement”. La devise des forces spéciales (FS) françaises résume une spécificité profondément inscrite dans leur ADN. Cette spécificité s’exprime en particulier dans leur emploi. Pour être en mesure de répondre à des sollicitations au risque politique élevé, les forces spéciales ont vocation à proposer des solutions opérationnelles alternatives, en agissant différemment.
Cette spécificité ne les place pas pour autant en marge des armées. Le « biotope forces spéciales » ne saurait exister sans les efforts considérables consentis par les armées. Celles-ci sont responsables du recrutement, de la sélection, de la formation, de l’entrainement et de l’équipement de leurs forces spéciales, quand il revient au commandement des opérations spéciales (COS) de les commander en opération. Par ailleurs, près de la moitié des militaires déployés en opération sous les ordres du COS n’appartiennent pas aux forces spéciales. C’est leur engagement qui permet de soutenir, d’appuyer – et donc in fine de mener – ces opérations spéciales. Les succès obtenus sont donc collectifs. Une excellente synergie avec l’ensemble des armées, directions et services est la première garante de leur réussite.
Les opérations spéciales n’ont pas vocation à se substituer aux opérations conduites par les armées. Les FS n’ont, par exemple, pas vocation à tenir le terrain. Au Sahel, quand Barkhane entretient une présence permanente dans l’ensemble de la zone d’opération, elles interviennent à longue distance et ponctuellement. Il faut d’ailleurs noter que les FS dépendent des emprises de Barkhane pour mener à bien leurs propres missions. Elles dépendent également des capacités militaires qu’elles ne détiennent pas en propre, telles que des bâtiments de la Marine nationale ou des drones de l’armée de l’Air et de l’Espace. Il s’agit bien ici de gagner ensemble.
Si les FS sont traditionnellement employées dans la lutte contre les menaces irrégulières et la réponse immédiate aux crises, elles réfléchissent aujourd’hui à leur engagement face à des agressions hybrides, dans les zones grises, dans des situations qui se situent sous le seuil de la conflictualité ouverte et pour lesquelles l’intention hostile est difficile à discerner et l’attribution de la responsabilité reste floue, incertaine, dans un contexte de contournement du droit international. Ces travaux ont déjà débuté, ils vont se poursuivre.
Confrontées à des ennemis qui sont parfois soutenus par des puissances étrangères, les forces spéciales agissent dans des zones de conflit où la supériorité tactique ne leur est pas acquise. Elles sont ainsi régulièrement confrontées à des capacités dites du « haut du spectre ». L’ennemi irrégulier peut faire usage de drones, du brouillage des communications et des positions et il applique des tactiques de plus en plus élaborées. Le COS joue là un rôle de précurseur : ses engagements actuels sont les laboratoires des conflits de demain. Ils constituent donc autant d’opportunités pour éprouver matériel et procédures et consolider l’appréciation des besoins émergents. Riche de retours d’expériences uniques, le COS doit également poursuivre ses réflexions doctrinales, qui pourront nourrir ensuite celles de l’ensemble des armées, afin de gagner demain.
Pour accompagner cette ambition et permettre aux forces spéciales de conserver leur avance sur un ennemi par nature évolutif, les ingénieurs de l’armement jouent un rôle crucial. Si l’homme reste la pierre angulaire du concept d’emploi des forces spéciales, il n’en demeure pas moins indispensable de lui fournir les meilleurs outils possibles pour réussir. Pour cela, les forces spéciales doivent pouvoir continuer à s’appuyer sur les ingénieurs de l’armement, qui apportent expertise technique, maîtrise des processus capacitaires, recherche de l’innovation (avec l’agence d’innovation de la défense, notamment) ou encore connaissance de la base industrielle et technologique de défense.
Le processus vertueux initié par l’instruction ministérielle 1618 porte ses fruits, et les programmes d’armement, qu’ils soient à effet majeur ou plus modestes, intègrent de mieux en mieux les besoins spécifiques exprimés par les utilisateurs. Initiées avant l’entrée en vigueur de ce nouveau cadre, certaines opérations ont d’ailleurs très bien pris en compte le besoin des FS : le sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda dispose d’une capacité spécifique pour les nageurs de combat, l’hélicoptère NH90 sera décliné en version FS. Gageons que les processus gagneront encore en efficacité au fil de l’expérience accumulée. La complémentarité entre les ingénieurs de l’armement et les forces est indispensable, elle doit demeurer incontestable.
Pas plus que les armées, les forces spéciales ne pourraient envisager de « faire sans ».
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