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01 mars 2019

EUCISE : PARTAGER L’INFORMATION POUR UNE MEILLEURE SURVEILLANCE DES MERS

Publié par Patrick HEBRARD | N° 117 - L'Europe

Les mers sont des artères vitales par lesquelles transitent 90 % du commerce mondial et 41 % des échanges internes de l’Union européenne. Mais la liberté des mers facilite aussi l’action des perturbateurs et des trafiquants qui mettent en danger la pérennité des échanges et la stabilité des États fragiles.


L’UE ne s’est préoccupée de son domaine maritime que récemment et souvent sous la pression des événements : ce sont les pollutions successives des côtes et du milieu marin qui ont conduit à la création de l’EMSA, les arrivées d’immigrés sur nos côtes, celle de Frontex, et l’activité des pirates somaliens qui a conduit les administrations à coopérer. L’UE a publié des documents, tels que le Livre Bleu, qui embrassent l’ensemble des activités, du transport maritime à l’environnement, et dont les plus récents traitent de sécurité et défense. Les risques et les menaces pour toutes ces activités sont parfaitement répertoriés. Mais la protection du domaine maritime débute par la connaissance du milieu. Cette surveillance est de la responsabilité des États membres selon des modalités qui dépendent des législations nationales, des moyens disponibles, de leurs intérêts et des mers qui les entourent. Autant dire qu’il y a autant d’organisations que d’États.

L’UE tente de créer une certaine cohérence en développant des règles communes, des réseaux (VMS, Eurosur, SafeSeaNet, LRIT, EMODnet, Marsur) et des procédures. Elle propose de connecter les réseaux de surveillance existants, régionaux ou nationaux : SUCBAS en mer Baltique, V-RMTC en Méditerranée et en mer Noire, Spationav, en France... Outre les problèmes d’interopérabilité entre les différents systèmes, la principale difficulté se situe dans l’absence de partage entre les acteurs qui se traduit par une importante perte d’informations qui, si elles avaient pu être corrélées, auraient grandement amélioré la compréhension de la situation et la capacité d’action. L’exemple de l’Arctic Sea est révélateur de cet état d’esprit. Le drame n’est pas tant le fait de ne pas savoir, que le fait que ces communautés n’aient aucune idée de ce qu’elles ne perçoivent pas.

Cette culture du secret est évidemment répandue chez les militaires. Mais ils ne sont pas les seuls ; les organismes civils, qu’ils soient institutionnels, comme la police ou les douanes, ou privés, comme les armateurs ou les pêcheurs, sont aussi des défenseurs de la protection des informations et du « besoin d’en connaître » pour y accéder. Pour lutter contre ces menaces qui prolifèrent, il est temps d’adopter le principe du partage des informations, de passer de l’ère du «need to know» à celle du «need to share» et de « la responsabilité de partager. »

Conscient de la nécessité d’échanger des informations, le Conseil européen a demandé à la Commission de se saisir de ce sujet. La DG Mare a ainsi lancé les expérimentations Blue Mass Med et Marsuno qui ont servi de base au lancement de CISE (Common Information Sharing Environment) dans le cadre du FP7.

L’objectif de CISE est de permettre aux utilisateurs de disposer d’une situation maritime enrichie pour assurer leur mission en facilitant des échanges de données entre administrations et entre pays. De tels transferts nécessitent une architecture de réseau commune, un langage de données ainsi qu’un ensemble de services IT communs.

Le développement d'une architecture d'échange d'informations CISE et la mise en œuvre d'un ensemble de principes opérationnels communs et de réglementations constituent une tâche complexe. De nombreuses autorités et institutions publiques européennes exploitant leurs propres systèmes d'information seront interconnectées et devront utiliser des procédures harmonisées inconnues auparavant pour interagir les unes avec les autres. L’expérimentation devra résoudre les difficultés techniques et tirer les enseignements des tests effectués. L'harmonisation opérationnelle sera poursuivie au cours de la phase opérationnelle du CISE.

Cependant, le défi le plus important, ayant les implications majeures dans la vision du CISE, sera la mise en œuvre de la politique de partage des informations « Responsibility to Share (1) » entre toutes les communautés d'utilisateurs du CISE. Le triste souvenir des attentats du 11 septembre où des informations n’avaient pas été partagées entre les services US, fait de cette politique la raison d’être du CISE, et constitue le critère fondamental du succès ou de l’échec de ce projet.

Les principes suivants ont été arrêtés et CISE doit :

  • permettre l’interconnexion de toute autorité publique de l’Union européenne (UE) ou de l’Espace économique européen (EEE) impliquée dans la surveillance maritime ;
  • soutenir une approche décentralisée au niveau de l'UE ;
  • améliorer l’appréciation de la situation maritime par la responsabilité de partager l’information ;
  • assurer l’interopérabilité entre les systèmes d’information civils et militaires ;
  • être compatible et assurer l’interopérabilité des systèmes d’information aux niveaux européen, national, sectoriel et régional ;
  • permettre la réutilisation des outils, technologies et systèmes existants ;
  • permettre un échange transparent et sécurisé de tout type d'informations utiles pour la surveillance maritime ;
  • prendre en charge le changement de services par fournisseur d'informations (orchestration).

Enfin, les abonnés et les parties prenantes du CISE ne devraient être autorisés à obtenir des informations que s'ils contribuent également d'une manière qui corresponde à leurs capacités.

Les principes ci-dessus devraient être appliqués à toutes les étapes de la mise en œuvre du CISE et jouent donc un rôle essentiel dans la définition des mesures et réglementations de normalisation techniques et opérationnelles proposées. La complémentarité et la décentralisation nécessitent l'élaboration de normes techniques et opérationnelles communes permettant un partage structuré, efficace et efficient des informations.

Le 23 juillet 2009, le vraquier Arctic Sea, battant pavillon maltais, appareille de Finlande pour l’Algérie. Il est abordé le 24 en mer Baltique par une équipe en uniformes de police suédois qui fouille le bateau et disparaît. L’incident est déclaré le 27 à l’armateur et le navire continue sa route. Il est repéré en passant la Manche par les Garde-côtes britanniques, puis au large de Brest et disparaît des écrans. Il ne passe pas par le détroit de Gibraltar et fait alors l’objet d’un avis de recherche par Interpol. Il sera intercepté, mi-août, par la Marine russe au large du Cap Vert, arborant un pavillon nord-coréen. (https ://abcnews.go.com/International/story ?id=8472480)

Le Test de validation pré-opérationnel (POV) est en cours de finalisation et propose de confier cette standardisation à l’Institut européen des normes de Télécommunications (ETSI). Un Groupe de spécifications pour l’industrie (ISG) a été créé et devrait se réunir début 2019. Des directives opérationnelles ont été rédigées pour servir de référence à la configuration des « nœuds » CISE nationaux (neuf pays en sont déjà dotés (2)) et des opérateurs individuels. Ces directives précisent également le cadre réglementaire pour les informations que les acteurs ont la « responsabilité de partager ». Des évolutions seront sans doute nécessaires pour tenir compte des retours d’expérience. La présence de représentants des États-membres à tous les échelons de la structure de gouvernance est évidemment indispensable, en particulier pour la mise en place et le suivi du principe de « responsabilité de partager » les informations.

Ce projet est important pour assurer la sécurité de l’espace maritime européen, mais aussi pour pouvoir connecter CISE, à l’avenir, avec Mise, son homologue américain, et l’IFC de Singapour, pour une vision plus globale des océans et des approches de nos territoires d’outremer. A cet égard, il est regrettable que la France, située au carrefour des routes maritimes européennes, ait refusé de participer au lancement du POV. Il faut être reconnaissant envers le précédent SG Mer d’avoir rejoint ce projet, dès sa nomination, en 2016.

Sigles :

 
VMS  Vessel Monitoring System (système européen de surveillance de la pêche) 
Eurosur  European border Surveillance system (Frontex surveillance des frontières)
SafeSeaNet  Système de surveillance du trafic maritime de l’EMSA LRIT – Long Range Identification and Tracking of ships (OMI) EMODnet – European Marine Observation and Data Network Marsur – Maritime Surveillance (connexion des réseaux de surveillance maritime des Marines européennes)
DG Mare   Direction Générale de la Mer (Commission)
Sucbas   Sea Surveillance Co-Operation Baltic Sea
V-RMTC  Centre de trafic maritime régional virtuel (Italie) Marsuno - Surveillance maritime dans les bassins maritimes du Nord
Mise  Maritime Information Sharing Environment
IFC  International Fusion Centre
EMSA  Agence européenne pour la sécurité maritime

 

(1) Ce principe signifie qu’un individu en possession d’une information est responsable de sa diffusion à ceux qui peuvent légitimement en avoir l’usage, faute de quoi il peut être tenu pour responsable des conséquences de sa non distribution.

(2) Allemagne, Bulgarie, Espagne, Finlande, France, Grèce, Italie, Norvège, Portugal

Patrick HEBRARD, Vice-amiral d’escadre (2S)

Patrick Hebrard a servi dans l’Aéronavale et a commandé le porte-avions Clemenceau. En charge du projet du  le porte-avions Clemenceau. En charge du projet du porte-avions Charles de Gaulle à l’État-major de la marine, il a été ensuite chef du Centre Opérationnel Interarmées, puis Inspecteur des forces en Opérations. Il est l’un des Directeurs de Wise Pens International et chercheur associé à la FRS. Il a quitté le service actif en décembre 2007.



Auteur

Patrick HEBRARD

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