GALILEO, INSTRUMENT DE SOUVERAINETÉ EUROPÉENNE
A travers du système Galileo, les institutions européennes sont sur le point de doter l’Union européenne et ses Etats membres d’un outil emblématique d’autonomie stratégique. Son développement a bien plus encore constitué un cadre fédérateur et concret pour la prise de conscience et l’émergence au niveau de l’Union Européenne des problématiques liées à la souveraineté.
En ces temps d’euroscepticisme et de préparation du Brexit, la mise en service de Galileo annoncée fin 2016 pourrait ragaillardir l’ambition européenne. Même si elle a longtemps fait figure d’arlésienne, déjà annoncée dans la revue n° 100 de juin 2013 de la revue de la CAIA, l’ouverture prochaine des services paraît plausible puisque les infrastructures et une constellation réduite sont déjà opérationnelles. En cas de succès du premier lancement quadruple Ariane 5 ES Galileo planifié cet automne, rien ne semble devoir ensuite s’opposer à l’achèvement rapide de la constellation complète.
Quatre satellites Galileo sont montés sur leur dispenseur multiple pour le premier lancement quadruple Ariane 5 ES Galileo prévu à l’automne 2016.
Galileo, outil dual d’autonomie stratégique
Selon la Commission européenne, 6 à 7 % de l’économie européenne sont dépendants de la disponibilité des signaux de navigation, et le marché pour les services de navigation par satellite représentera 250 milliards d’euros vers 2022. Au-delà des applications évidentes pour les transports, les signaux servent également par exemple à la synchronisation des réseaux électriques ou de télécommunication. Galileo présente donc un enjeu majeur pour l’économie.
L’autre enjeu majeur constitue bien évidemment celui des usages militaires, longtemps pudiquement intégré sous le voile de la sécurité, en brandissant l’illustration d’un besoin de pompiers ou d’ambulanciers. C’est à l’aune de la sécurité d’ensemble du système, et de la robustesse du service public réglementé PRS, que les superpuissances jaugent en réalité la réalisation européenne sur le plan stratégique.
Le statut dual du système a été exposé lors de la « European space solutions conference 2016 » de juin dernier, au cours de laquelle la commissaire européenne pour l’industrie, un député européen et le président du conseil d’homologation de sécurité ont indiqué en substance que Galileo est sous contrôle civil, mais qu’il pourra avoir des utilisateurs civils et militaires, et que le système doit être sécurisé tant dans ses composantes terrestre et spatiale que pour son signal.
Le point avait en réalité été consacré sur le plan légal dès la décision 1104/2011/UE du 25 octobre 2011 du parlement et du conseil. Celle-ci stipule que « les Etats membres (…) ont le droit d’accéder au PRS de manière illimitée et ininterrompue dans toutes les parties du monde » et que « Chaque Etat membre qui a recours au PRS décide de manière indépendante (…) des utilisations qui en sont faites », bien entendu sous la réserve du respect de standards minimaux communs consolidant le contrôle et la non-compromission du service. Celle-ci fait de Galileo un outil de souveraineté non seulement pour l’Union européenne, mais aussi pour chacun de ses Etats membres.
Compte tenu des enjeux, la France a offert les infrastructures du centre principal de sécurité Galileo au sein d’un camp militaire à Saint-Germain-En-Laye, centre qui fournira également le service PRS.
Elle envisage de se doter pour ses opérations militaires à l’horizon 2020 de récepteurs exploitant les signaux sécurisés des deux systèmes Galileo et GPS de manière simultanée, alliant ainsi performance accrue et indépendance. A cette date, le PRS de Galileo et le code M du GPS devraient être pleinement opérationnels.
Une révolution copernicienne au sein des institutions européennes
Les Etats-Unis ont d’abord contesté l’utilité de Galileo, avant de s’opposer au risque que pourrait induire le PRS sur le plan stratégique, selon des considérations qu’exposaient Bruno Sainjon et Benoît Hancart dans la Jaune et la Rouge d’avril 2004, sur fond de manœuvres diplomatiques illustrées depuis lors par Wikileaks. L’accord Etats-Unis/UE de 2004 ouvrait la voie à une résolution du différend, mais, sur fond d’hostilité du Pentagone contre la « vieille Europe » qui ne l’avait pas suivi sur l’Irak, les relations sont longtemps restées glaciales. Lorsque l’Europe a découvert que même l’allié américain n’offrirait aucune garantie crédible aux stations sol qu’elle envisageait de déployer sur son territoire, elle a compris que la souveraineté de son système passait par un redéploiement vers des territoires européens qui, fort opportunément, bénéficient via les DOM-TOM d’une répartition quasi-mondiale. Ceci d’autant que l’ingérence de la NSA s’avérait dans le même temps sans limite, jusqu’au téléphone personnel d’Angela Merkel... L’émergence de la nouvelle politique spatiale de l’administration Obama, plus ouverte à la coopération et consciente de la vulnérabilité des infrastructures spatiales, et l’effort de sécurisation de Galileo ont changé la situation vers une coopération constructive. Les Etats-Unis sont désormais eux-mêmes intéressés par la robustesse accrue et la redondance offertes par l’accès au PRS. Mais rien n’exclut qu’une prochaine administration ait une approche plus distante et moins amicale envers l’Europe.
Dans le même temps, l’ambition européenne de coopération internationale la plus large pour Galileo s’est heurtée aux réalités stratégiques. Au titre de l’accord Chine/UE de 2003, de nombreux échanges techniques ont été opérés au regard de la contribution chinoise envisagée. Mais l’Empire du Milieu a en réalité développé son propre système global Beidou (COMPASS). Concurrent économique, il venait apporter de plus un paramètre malvenu à certaines problématiques stratégiques.
Par ailleurs, comme pour toutes les grandes infrastructures mondiales sensibles ces dernières années, il s’est avéré que le développement du système Galileo avait été la cible de tentatives de cyber-attaques d’ampleur.
Dans ce contexte, les institutions européennes ainsi « déniaisées » ont dû opérer en quelques années une révolution copernicienne vers la maîtrise des problématiques liées à la souveraineté, qui passent par la sécurité au sens large : sécurité d’approvisionnement par la maîtrise de technologies et d’une base industrielle critiques, contrôle du transfert de celles-ci, protection des sites et des réseaux, mise en place de mécanismes de contrôle et de commandement réactifs, pour ce qui est le plus vaste système de niveau « Secret UE », déployé dans le monde et dans l’espace.
Sous la pression constructive des Etats membres au travers du Conseil de l’UE et du Conseil d’homologation de sécurité, la Commission européenne, dont l’approche était essentiellement administrative et juridique, s’est approprié l’impératif de sécurité. L’Agence spatiale européenne, de tradition scientifique ouverte, a abruptement cessé ses communications sensibles sur Galileo et créé une entité entièrement sécurisée. L’Agence du GNSS européen s’est dotée d’installations et de compétences de pointe. Le Service européen pour l’action extérieure, à l’approche jusqu’alors plus théorique, a mis en place une chaîne de décision réactive, qui répond pour Galileo aux défis de sécurité en cas de crise, y compris à la vieille question d’Henry Kissinger : « l’Europe, quel numéro de téléphone ? ». Quatre satellites Galileo sont montés sur leur dispenseur multiple pour le premier lancement quadruple Ariane 5 ES Galileo prévu à l’automne 2016.
Michel Iagolnitzer, ICA
Michel Iagolnitzer a exercé des responsabilités de conduite de programme au profit de la dissuasion, du renseignement, du Rafale et du Porte-avions Charles de Gaulle. Il a ensuite mené des activités internationales auprès de l’ONU, de l’OTAN, du Conseil de l’UE, de la Commission européenne, et de l’ESA. Il a été premier président de l’autorité d’homologation de sécurité du GNSS européen.
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