INGÉNIEURS DE L’ARMEMENT ET ACADÉMIES
On croit parfois connaître « les Académies », alors que le monde des Académies est plus varié et plus vivant que l’image qu’en a le public.
On voit souvent le titre d’académicien comme purement honorifique et associé (pour les cinq Académies formant l’Institut de France) aux distinctions de l’habit vert et de l’épée.
Mais les Académies c’est beaucoup plus que cela, elles ont une vie interne (à laquelle on est libre de participer beaucoup ou moins). Se contenter du titre sans participer est, c’est mon opinion, passer à côté de nombreuses opportunités de culture, d’approfondissement de nombreux sujets. Toutes les Académies, même celles de science pure, sont immergées dans la société et abordent les problèmes importants, voire cruciaux du moment.
Quelle place ont les ingénieurs de l’armement dans cet ensemble ?
Les ingénieurs de l’armement n’ont pas le profil d’un futur académicien français (les quarante immortels). Historiquement constructeurs navals et hydrographes ont assez souvent été élus à l’Académie des sciences (c’est cette académie qui a été très motrice dans le passage de la construction navale d’une compétence empirique à une science), quant à l’hydrographie et plus généralement la navigation, elle a fait appel dès ses balbutiements aux sciences majeures comme l’astronomie, les représentations géographiques, la connaissance du temps et sa conservation, au point qu’il reste toujours à proximité de l’Institut de France (Académie des sciences) un « Bureau des longitudes ».
Dans un passé un peu plus récent l’Académie des sciences a élu quelques ingénieurs des anciens corps composant aujourd’hui le corps de l’armement dont René Brard, le spécialiste internationalement reconnu de l’hydrodynamique navale (et professeur à l’École polytechnique dans les années 1950) et dans le domaine de la chimie et du nucléaire Claude Fréjacques, ingénieur des poudres.
Je n’ai pas fait de recherche sur les membres d’un passé plus récent ou membres actuels de l’Académie des sciences, si j’en ai publiés, c’est peu ! En effet, sauf les ingénieurs de l’armement de la branche recherche qui contre vents et marées se seraient maintenus dans le domaine de la recherche publique (université et CNRS) ou parapublique (CEA, Onera), les activités habituelles actuelles des ingénieurs de l’armement qu’ils soient en service à la DGA ou dans l’industrie ne les prédisposent pas à une reconnaissance par l’Académie des sciences.
Mais l’Académie des sciences ne doit pas cacher la forêt des Académies plus spécialisées.
Je citerai d’abord les deux Académies de milieu que sont l’Académie de Marine et l’Académie de l’air et de l’espace.
L’Académie de Marine traite de tous les sujets concernant la mer : navigation, hydrographie, océanographie, construction navale (militaire, de commerce de plaisance) et d’exploitation des océans (des ressources halieutiques aux minerais).
Entre ingénieurs branche hydrographique et branche constructions navales, les ingénieurs de l’armement y sont largement représentés et y exercent fréquemment des responsabilités d’animation au sein de la direction. Ainsi le président en fut récemment Yves Desnoës.
« IL FAUDRAIT QUE LA DGA METTE PLUS EN VALEUR SES ACTIVITÉS ET CEUX QUI LES ANIMENT »
L’Académie de l’air et de l’espace plus récente est construite sur une base différente, puisque association disposant d’une large autonomie (avec la contrepartie d’un budget plus précaire). Les ingénieurs de l’armement élus alors qu’ils étaient encore en service à la DGA n’y sont pas nombreux, mais nombreux sont ceux qui ont été élus après avoir quitté la DGA, en fonction de leurs responsabilités dans l’industrie, ou les organismes de régulation des activités aéronautiques ou dans les organismes de recherche comme l’Onera. À titre d’exemple, en sont membres Yves Sillard, ancien délégué général pour l’armement et parce qu’il en a été président Philippe Couillard, ingénieur du génie maritime spécialité aéro.
La troisième Académie spécialisée beaucoup plus récente (elle a été constituée en association en 2000 et est devenue un établissement public à caractère administratif début 2007) est l’Académie des technologies. Elle accueille quelques ingénieurs de l’armement, ingénieurs que je dirais « de l’ancienne école ». Je veux dire par là des ingénieurs qui ont eu des activités personnelles de recherche appliquée ou industrielle soit directement au sien de la DGA au temps où celle-ci avait des centres de recherche de développement et d’essais internes développés, et quelques ingénieurs qui ont acquis un profil recherché par cette Académie dans des organisations proches de la DGA comme l’Onera et le CEA, mais cette liste n’est pas limitative…
J’ai relevé un peu plus d’une demi-douzaine de membres de l’Académie des technologies issus du corps, deux sont hélas décédés dont Alain Bugat qui a été président de l’Académie deux ans avant sa mort prématurée. Outre des membres ayant réalisé la plus grande partie de leur carrière au sein de la DGA, il y a au moins un ingénieur ayant fait la plus grande partie de sa carrière à l’Onera, et d’autres qui comme Alain Bugat ont été longuement détachés au CEA comme aussi Edwige Bonnevie actuelle secrétaire générale de l’Académie. Je me dois de citer aussi Marc Pellegrin que nombre d’entre nous ont eu comme professeur d’automatisme et qui malgré ses plus de quatre-vingt-dix ans et son éloignement de Paris (il habite Toulouse était un membre assidu et actif jusqu’à ce que le confinement modifie complètement le mode de fonctionnement de l’Académie.
Le caractère très transversal de l’Académie des technologies constitue un attrait important de cette académie, une proportion importante de ses membres appartient aussi à d’autres Académie (sciences, médecine, agriculture sont les principales, mais aussi sciences morales et politiques…).
Hélas, le profil des ingénieurs de l’armement qui ont servi essentiellement dans la DGA moderne, n’est pas le profil le plus recherché actuellement par l’Académie des technologies, pour résumer jusqu’à la caricature, l’Académie recherche des profils de personnalités extraverties ayant innové, créé des entreprises pour déployer ces innovations, etc. et non des gestionnaires de l’innovation ou de la recherche, pas non plus de directeurs de programmes (maîtres d’œuvre dans le vocabulaire civil)…
C’est un peu dommage, car ce que fait la DGA, aujourd’hui comme hier, mériterait d’être plus « exporté » puisque la technologie, quel que soit le domaine considéré ou presque a un caractère dual. Et que le rôle d’une Académie des technologies n’est pas de faire elle-même, mais de faire de la prospective et de conseiller. Mais il faudrait pour cela que la DGA mette plus en valeur ses activités et ceux qui les animent…
Marc Pélegrin, une référence « académique » dans le domaine des systèmes asservis |
Immortel !L’IGA Marc Pélegrin a été élu membre correspondant de l’Académie des sciences le 30 mars 1987 dans la section mécanique et informatique. Né en 1923, Marc Pélegrin (X 1943, ENSAé 1949) a commencé sa carrière au Service technique Aéronautique dans le domaine du guidage des missiles et du simulateur de vol du Vautour. Docteur ès sciences en « Calcul statistique des asservissements » en 1952, il devient professeur à SupAéro et fonde en 1958 avec J.C. Gille le centre d’études et de recherches en automatique (CERA). Co-fondateur du Centre d’études et de recherches de Toulouse (CERT) en 1965, il devient directeur de l’Ecole nationale supérieure de l’aéronautique de 1968 à 1978 après son installation définitive à Toulouse. Il est Haut conseiller honoraire à l’ONERA.
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Ces multiples activités académiques sont-elles utiles, au-delà des relations entre membres et de l’enrichissement intellectuel mutuel qu’elles apportent ? Il y a comme partout pas mal de déperdition, mais, oui, les Académies ont une influence, discrète, mais néanmoins pas négligeable : l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) à éclairer tel ou tel sujet (l’OPECST s’adresse aussi aux Académie en tant qu’institution pour formuler des avis dont la rédaction donne souvent lieu en interne à des discussions animées). À l’échelle européenne le réseau des Académies des sciences et des Académies des technologies est écouté à Bruxelles qui finance même un certain nombre de travaux via un groupement d’Académies monté à cet effet (SAPEA1).
1 : Science Advice for Policy by European Academies
François Lefaudeux
François Lefaudeux est X 59, il a fait toute sa carrière à la DCN et à la DGA. Il a été adjoint au délégué général pour l’armement et inspecteur des constructions navales. Membre de l’Académie des technologies, Il y est actif comme délégué aux publications. Co-architecte et maître d’œuvre de Paul-Ricard, actif dans Techniques Avancées et L’Hydroptère, auteur de l’ouvrage technique Les voiliers très rapides.
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