OUVERTURE DES SOCIÉTÉS SAVANTES DES SCIENCES DU VIVANT EN DEHORS DE LEUR DOMAINE D’EXPERTISE
REGARD D’UN ANCIEN IA AUJOURD’HUI CHERCHEUR ACADÉMIQUE
Les sociétés savantes en biologie se sont longtemps adressées majoritairement à leurs membres, des chercheurs académiques hautement spécialisés. Pour diffuser la connaissance et élargir les échanges entre les contributeurs scientifiques et techniques de divers domaines, elles ont cherché dans les dernières décennies à élargir leurs interactions avec d’autres acteurs allant du grand public aux décideurs politiques, en passant par le monde académique d’autres domaines scientifiques.
Passé au sein de la DGA via la filière Recherche, je me suis converti à la recherche fondamentale par une expérience à l’Université de Californie qui a précédé un retour en France au sein du CNRS. J’ai ainsi pu me rendre compte des interactions limitées entre le monde académique des sciences du vivant et d’autres acteurs sociétaux extra-universitaires. Les sociétés savantes ont un rôle à jouer pour fluidifier ces relations et permettre le transfert de connaissance vers des organisations qui bénéficieraient des connaissances techniques et scientifiques pointues que peuvent fournir les chercheurs académiques du secteur biologie et santé. Elles se sont attelées à cette tâche par diverses approches.
Interdisciplinarité
L’interdisciplinarité est devenue une nécessité pour l’ensemble de la recherche scientifique. Elle est aujourd’hui omniprésente et son développement a été largement accompagné par les actions des différentes sociétés savantes en biologie, bien que chacune d’entre elles soit extrêmement spécialisée. Dans les sciences du vivant, le développement de technologies innovantes telles que l’optogénétique, la microscopie à super-résolution ou la culture d’organoïdes a transformé les approches expérimentales utilisées. Les sociétés savantes mettent en relation les développeurs de ces techniques avec leurs potentiels utilisateurs. Elles réservent une part grandissante de leurs actions à ces développements technologiques. C’est en particulier le cas lors de leurs congrès annuels et au sein des journaux scientifiques qu’elles éditent.
Optogénétique : Utilisation de protéines sensibles à la lumière identifiées dans la nature ou conçues en laboratoire. Ces protéines permettent de contrôler des évènements cellulaires grâce à la lumière. Cette technique est largement répandue pour manipuler l’activité électrique des neurones. Microscopie à super-résolution : Techniques de microscopie permettant de contourner les contraintes des lois de la physique limitant la résolution de ce type de la microscopie optique (voir illustration). Organoïdes : Assemblages cellulaires produit in vitro à partir de biopsie et reproduisant de nombreuses caractéristiques d’un organe choisi. Cette technique est en plein essor, en particulier pour la modélisation de pathologies en utilisant du tissu humain, sans être restreint à des échantillons post-mortem. |
Internationalisation
Les sociétés savantes de biologie suivent actuellement la voie d’un regroupement transnational pour favoriser les échanges par-delà les frontières et élargir les communautés scientifiques de leurs domaines d’expertise. Par exemple, l’Organisation Européenne de Biologie Moléculaire (EMBO) et la Société Américaine de Biologie Cellulaire (ASCB) organisent désormais un congrès annuel commun. De la même manière, les sociétés de neurosciences des pays européens se sont regroupées au sein de la Fédération des Sociétés Européennes de Neuroscience (FENS), permettant l’organisation d’un congrès international bisannuel d’une toute autre ampleur que leurs équivalents nationaux.
Au soutien des décideurs
La trans-disciplinarité et l’internationalisation favorisent une meilleure collaboration au sein du monde académique mais permettent peu de nouer des liens avec le monde extra-académique. L’émergence récente du SARS-CoV-2 et la contribution du monde académique à la lutte contre cette pandémie ont rappelé, s’il le fallait, que les gouvernements ont à leur disposition une communauté scientifique prête à émettre des recommandations dans ses domaines d’expertise. Les sciences du vivant ont suffisamment été mises en avant ces deux dernières années pour qu’il soit inutile d’en rappeler l’importance sociétale. Les sociétés savantes dans le domaine de la biologie et de la santé ont prouvé leur importance dans ce domaine, et on ne peut qu’espérer que la communauté scientifique continuera de jouer ce rôle d’expertise. Rappelons néanmoins que ces sociétés n’ont pas vocation à prendre des décisions relatives à notre organisation sociétale, mais seulement à fournir une lecture du savoir technique dans leur domaine de spécialité.
Au-delà des applications directes à la santé humaine, les sciences du vivant font face à des réflexions éthiques auxquelles prennent désormais part les sociétés savantes, après avoir été peu actives sur le sujet. Ces problématiques éthiques touchent des domaines aussi divers que la création et l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés, la recherche sur l’animal ou l’utilisation de tissu humain adulte ou embryonnaire. Tous ces domaines font aujourd’hui l’objet d’évolutions règlementaires importantes et les sociétés savantes ont un rôle d’envergure à jouer dans ces évolutions.
« LE TRANSFERT DE TECHNOLOGIES… PARENT PAUVRE »
Actions auprès du grand public
Afin d’aider au transfert de connaissances vers le grand public, les sociétés savantes des sciences du vivant ont mis en place des actions de vulgarisation à grande échelle. C’est le cas par exemple de la semaine du cerveau, un effort global international ouvrant au public des centres de recherche du domaine des neurosciences du monde entier. L’influence de l’opinion publique sur l’action des décideurs politiques rend de telles opérations importantes pour que les interventions des sociétés savantes auprès des décideurs politiques ne restent pas lettre morte du fait d’une sensibilisation insuffisante de la population.
Transfert de connaissance pour le développement de technologie innovante
Les initiatives en faveur du transfert de technologie sont très certainement le parent pauvre des actions des sociétés savantes en biologie et en santé. Ces dernières n’ont encore que peu d’interactions avec les industriels ou les organismes publics techniquement compétents tels que la DGA. Ces interactions sont le plus souvent limitées à la promotion d’appel d’offres pour des programmes de financement d’une ampleur limitée. Les divergences de culture sont encore profondes entre les chercheurs académiques et leurs sociétés savantes d’une part, et les développeurs d’applications d’autre part. Les premiers sont attachés à la libre circulation du savoir et à une totale liberté d’action à chaque instant, tandis que les seconds requièrent une légitime protection de leurs innovations, requièrent une confidentialité ainsi qu’une conduite de projet reposant sur des jalons prédéterminés.
Les sociétés savantes des sciences du vivant ont largement évolué pour favoriser la diffusion des connaissances des domaines scientifiques qu’elles représentent. Ces efforts ont produit des résultats probants en ce qui concernent les échanges avec d’autres disciplines.
Une amplification des actions à destination des acteurs extra-académiques serait néanmoins souhaitable.
Xavier Nicol
Recruté en tant qu’IA Recherche, Xavier Nicol a étudié le développement du système nerveux au sein de l’INSERM. Il a ensuite rejoint l’Université de Californie, San Diego puis le CNRS, où il dirige une équipe de recherche analysant la formation des connexions entre neurones. Il enseigne les neurosciences à l’Ecole Polytechnique.
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