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Discours du récipiendaire
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07 octobre 2021

SCIENCE ET SECRET : COMMENT PRIMER UNE THÈSE CONFIDENTIELLE

Les prix Amiral Daveluy et de l’Académie de Marine montrent qu’on peut concilier protection du secret et mise en avant des travaux : des exemples à suivre !


Fin 2019, j’ai soutenu ma thèse à l’École des Mines de Paris, et il me vint l’idée saugrenue de vouloir candidater à des prix de thèse, alors que mes travaux sont protégés par une clause de confidentialité Spécial France de 60 ans… Ma thèse a porté sur l’amélioration et la compréhension d’un acier utilisé dans la propulsion nucléaire et s’intitule « Recristallisation et propriétés mécaniques d’un acier inoxydable austénitique stabilisé au niobium ».

J’épluche alors les listes de sociétés savantes du domaine : le prix Jean Bourgeois de la Société française d’énergie nucléaire, le prix Amiral Daveluy de la Marine, le prix de la société française de métallurgie, le prix ESOPE de l’AFIAP, le prix Guillaumat sur le nucléaire de défense, le prix de thèse de l’Académie de Marine et enfin bien sûr le prix de thèse de la DGA. J’évite évidemment les prix internationaux comme le Young Academic Steel Award… J’apprends, avec étonnement, que le prix de thèse DGA ne peut pas récompenser les IA en formation par la recherche !

Certains prix ne nécessitent pas l’envoi du manuscrit et je peux donc candidater à l’aide de résumés, mais certains demandent légitimement à lire le travail complet. Fort heureusement, l’Académie de Marine et le jury du prix Amiral Daveluy présentent toutes les qualités requises pour étudier un manuscrit protégé et c’est avec grand plaisir que j’ai obtenu, en 2020, ces deux prix de thèse. 

Le prix Amiral Daveluy (un pionnier des sous-marins), créé par le chef d’État-major de la Marine, est « destiné à susciter, encourager et promouvoir des travaux de recherche et de réflexion faisant progresser les connaissances dans les domaines maritimes et navals ». Il comporte une section « sciences humaines » et une section « sciences de l’ingénieur ». Le CESM (Centre d’Études stratégiques de la Marine) en assure le jury. Malheureusement, la pandémie du Covid-19 a empêché la tenue d’une cérémonie de remise mais le principal reste à mes yeux que les experts de la Marine aient reconnu l’importance de sujets techniques comme la métallurgie dans la réussite des programmes d’armement navals. 

L’Académie de Marine décerne deux prix de thèse, l’un en « sciences humaines et sociales » et l’autre en « sciences exactes et/ou expérimentales ». C’est donc entre les ouvrages de photographies du monde maritime et les récits d’Histoire militaire que ma thèse au titre barbare a été primée. La séance solennelle de l’Académie a eu lieu le 9 juin 2021, sous la présidence de Didier Decoin, de l’Académie de Marine et président de l’Académie Goncourt. 

La confidentialité de la recherche appliquée s’est fortement accrue ces dernières années. Certains manuscrits, parfois sans lien avec la Défense nationale, se retrouvent confidentiels pour des durées faramineuses pouvant atteindre 100 ans ! Ces durées résultent souvent d’une négociation entre encadrants académiques et partenaires industriels et s’allongent souvent au-delà de la durée nécessaire au dépôt d’un brevet ou au-delà des perspectives pratiques d’utilisation des données contenues dans le manuscrit. Imaginez une thèse de physique de 1921 publiée aujourd’hui ! Pour autant, la protection de l’information est vitale dans un monde concurrentiel et internationalisé et il ne faudrait pas que les doctorants soient privés des sujets d’étude confidentiels : la recherche industrielle, et notamment de Défense, se trouverait amputée d’un flot précieux d’étudiants. Il semble donc primordial que les chercheurs académiques acceptent les sujets protégés, que les industriels ménagent leurs exigences de durée de secret ou permettent des publications maîtrisées et que les sociétés savantes puissent continuer à mettre en avant ces travaux. C’est ce qu’ont su faire le CESM et l’Académie de Marine, qu’ils en soient vivement remerciés ! 

 

    
Nicolas Cliche
Après une thèse en métallurgie, il est architecte chaufferie des SNLE 3G au STXN (service technique mixte DGA-CEA de propulsion nucléaire)
 

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