APPRENDRE À SERVIR LES PLUS FAIBLES
Un regard, une écoute, une parole, une boisson chaude, un « bonjour Monsieur », pour faire exister l’autre !
Nous sommes un vendredi soir de décembre au siège de l’Ordre de Malte à Paris 15ème, rue des Volontaires. Il est 19h00. Il fait froid. Il fait noir. Une équipe de 4 bénévoles s’active : l’un fait chauffer de l’eau, l’autre rassemble des sacs de couchage, des vêtements, un troisième réunit de la nourriture facile à préparer et des produits de soins et le quatrième prépare le camion. C’est l’équipe en charge de la maraude de l’Ordre de Malte à Paris. A 20h00, l’équipe monte dans le camion puis quitte le siège de l’Ordre. Un appel téléphonique à l’équipe de régulation du SAMU Social à Paris pour se mettre à leur service en cas de besoin. L’aventure de la nuit commence : qui allons-nous rencontrer ce soir ? Comment allons-nous être accueillis ? A quelle situation de détresse allons-nous devoir faire face ? A quelle violence allons-nous être confrontés ? Le chef de maraudes rappelle les règles de comportement et de sécurité. Il rappelle quelques extraits du chapitre 25 de l’Evangile de Saint Mathieu : « j’avais faim, et vous m’avez donné à manger, j’avais soif, et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli, j’étais nu, et vous m’avez habillé… Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Il rappellera également l’importance de montrer, dans nos paroles et dans nos gestes, un grand respect aux personnes qu’on rencontre.
La rencontre
Pour rencontrer une personne SDF dans la rue, il faut beaucoup de délicatesse. Elle a tout perdu. Elle est fatiguée, notamment parce qu’elle dort peu. Elle n’est peut-être pas en situation régulière à l’égard de la loi. Elle a peut-être traversé des épreuves qu’elle ne peut pas raconter sans perdre sa dignité. Elle a probablement commis des fautes plus ou moins graves ou fait des mauvais choix à certains carrefours clés de sa vie. Elle a souvent honte d’être à la charge de la société. Elle est consciente qu’elle n’y apporte pas sa part. Elle n’a aucune envie de se montrer aux autres dans cet état. Et pourtant, c’est par la rencontre qu’un avenir est possible. Alors, souvent, elle s’invente un personnage représentant les périodes heureuses de sa vie, un personnage présentable, un personnage qui « tient debout » devant ceux qui lui rendent visite, un personnage capable d’entrer en contact avec les gens normaux.
Pour entrer en contact, on s’approche doucement, on échange quelques mots et on s’arrête à environ un mètre de la personne pour tester si on est le bienvenu. Ensuite, on discute pour faire connaissance et on regarde comment on peut l’aider à passer la nuit et à tenir jusqu’au lendemain. Souvent, on lui propose un hébergement dans une chambre propre et chauffée, mais beaucoup d’entre elles refusent : on ne quitte pas sa maison comme ça, surtout si on ne peut pas la fermer à clé et que des prédateurs la convoitent. Un départ pour une nuit, nécessitant le transport de l’ensemble des affaires, est, en fait, un déménagement, laissant le « logement » vacant à la merci des intrus… Et un emplacement à l’abri près d’une source de chaleur, dans un bon quartier, ça a de la valeur !
Pour ces personnes, nous sommes des inconnus qui nous approchons de chez lui, de l’ensemble de son patrimoine, de son intimité, de sa résidence principale comme un étranger qui s’approcherait de sa maison. Un jour, en m’approchant d’un SDF, j’ai posé par mégarde mon pied sur le bord du carton sur lequel il était assis. Il est entré en furie contre moi et m’a violemment rejeté. Je n’ai pas compris tout de suite la raison de son attitude, mais un jour j’ai raconté cette histoire à un ancien des maraudes. Il m’a expliqué : « Tu étais rentré dans sa maison sans y avoir été invité. On ne rentre pas chez les gens comme ça. On frappe à la porte avant d’entrer ! ». Belle leçon d’humilité et de savoir vivre !
Ce qu’on apporte
Après le premier contact, on échange quelques mots avec la personne rencontrée pour évaluer sa situation et ses besoins à court terme. Souvent, on donne une boisson chaude, une bouteille d’eau, un plat réchauffé, un pull ou un sac de couchage. On transporte également ceux qui le souhaitent dans des centres d’hébergement d’urgence. Et toujours, on offre de l’écoute, du respect et un peu de chaleur humaine à des personnes qui en reçoivent peu alors qu’elles en ont énormément besoin pour ne pas sombrer plus bas. C’est peu, mais cela les aidera à passer la nuit.
Ce que cela m’apporte
A la fin de la maraude, vers 1 h 00 du matin, sur le trajet de retour, on se repasse le film de la soirée avec le sentiment de s’être donné un peu pour les autres tout en restant conscient qu’il ne s’agit que d’une goutte de charité versée dans un océan de pauvreté. Ces personnes nous font prendre conscience de la fragilité de l’existence. Elles ont souvent basculé en raison d’un ou deux événements dans leur vie. « Demain, ça pourrait être moi ». Et puis, elles nous font prendre conscience de la chance que nous avons d’avoir un logement : on apprécie mieux la chaleur produite par notre chauffage, l’armoire dans laquelle on range nos vêtements et le repas chaud pris sur une table, en famille.
Alors, vous qui avez lu cet article, à partir de ce jour, la prochaine fois que croiserez un SDF, dites-lui simplement « Bonjour Monsieur » ou « Bonjour Madame ». Les mots les plus importants sont « Monsieur » et « Madame ». Beaucoup ne croient plus qu’ils sont dignes d’être appelés ainsi. Cette parole peut changer leur vie.
LES VALEURS |
Stéphane Delétang, ICA | |
Stéphane Delétang (X83 – ENSTA) a commencé sa carrière à la DGA en dirigeant les programmes AASM et METEOR. Il a poursuivie à l’OTAN dans le domaine des satellites. Il a ensuite rejoint Airbus où il a exercé des fonctions de direction opérationnelle. Il est maintenant à la Direction Technique de la DGA. |
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