GÉRER DES BÉNÉVOLES : TOUT UN PROGRAMME !
Vous avez dit « manager des bénévoles » ?
Du commandement de chasseurs alpins, au dialogue social avec les syndicats, en passant par le management des militaires de l’armement, des fonctionnaires et des ouvriers d’état, j’avais acquis un style de management que certains avaient qualifié d’agréable fermeté, ou de souplesse adaptée. C’est toujours une histoire de main de fer dans un gant de velours : il faut juste savoir doser la puissance du fer, et l’épaisseur du velours. Dans le cas de l’association, le velours est très épais, et mon passage en ambassade, ajouté à la sérénité de la cinquantaine, font diminuer la pression de la main. Ce n’est pourtant pas une tradition familiale : je suis fils de légionnaire et père de légionnaire. Mon pauvre père doit s’en retourner dans sa tombe de me voir faire autant de diplomatie pour faire passer une idée ou une décision.
Et pourtant, comme toute administration ou toute société, l’association doit être dirigée. Il faut décider, encadrer. Mais pourquoi est-ce beaucoup plus complexe dans le monde associatif ?
Pour des raisons légales
Qu’un salarié manage un bénévole est susceptible d’être assimilé en droit français au délit de marchandage, maintenant aussi appelé main d’œuvre illicite, autrement dit « travail dissimulé », exposant l’organisme à des sanctions pénales. Et l’État considère alors qu’il y contrat de fait. Un bénévole ne peut donc en principe être dirigé que par un autre bénévole. Aussi l’association est structurée en deux hiérarchies : celle des salariés et celle des bénévoles. Ces derniers, membres de droit de l’association, ont pouvoir de vote à l’assemblée générale, élisent un conseil d’administration, conseil qui choisit en son sein un président, bénévole lui aussi. Ainsi, pour la SNSM, en application des statuts, le président national nomme à des postes de responsabilités, des bénévoles, avec des mandats explicites déterminants leurs périmètres d’actions. Le conseil d’administration peut autoriser le président à embaucher des salariés dont la structure est placée sous l’autorité d’un directeur général. Le salarié apporte compétence et permanence d’un service : technique, comptable, achats, communication… En résumé, si l’ensemble des bénévoles sont les véritables porteurs du projet associatif, les salariés en assurent le soutien sous toutes ses formes.
Je suis donc le salarié d’une association, les bénévoles sont mes patrons par le biais du président : c’est une forme un peu extrême de retourner la vision. Quand je donne l’ordre d’arrêter un bateau, de réaliser une réparation, je ne donne que le (ferme !?) conseil de réaliser une action, dans le cadre de l’autorité qui m’est donnée au titre de mon contrat de travail. On est dans le fonctionnel. Mais toute l’activité opérationnelle est conduite par les bénévoles sans l’intervention de salariés.
La SNSM est forte de 7 000 bénévoles (et 70 salariés) répartis sur 220 stations le long du littoral, et 32 centres de formation. Ces bénévoles ont assuré le secours à 22 000 victimes dans la bande des 300 m, et à plus 6 000 au-delà et jusque 20 milles des côtes. Outre les matériels pour la surveillance des plages ou les dispositifs particuliers de sécurité, les moyens essentiellement nautiques sont constitués de 450 embarcations, du semi rigide de 6 m, au canot tous temps insubmersible et autoredressable de 20 m. Les équipages appareillent 24/7 en 16 minutes en moyenne ; ils sortent surtout quand il fait mauvais et quand tout le monde est rentré… sauf celui qui a besoin d’aide. |
Pour des raisons d’éthique et de respect de liberté
Les fondements du bénévolat : l’engagement volontaire et gratuit, le cadre d’une organisation formelle reconnue par la loi, la non concurrence avec un emploi rémunéré, la non-soumission à une subordination juridique (contrat du travail) tout en restant dans le respect des lois en vigueur (pour l’HSCT par exemple), la volonté d’agir ensemble dans un but commun. Au sein d’une association, l’engagement se développe par la rencontre entre des aspirations personnelles et des ambitions collectives. Le bénévole gère librement son temps de travail associatif. Il gère son engagement et ses bonnes résolutions, sans qu’il soit possible de le lui rappeler fermement. Il n’a pas de contrat. Il a cependant un contrat moral, l’engagement d’apporter sa pierre dans l’action du groupe. Son absence diminue, au moins momentanément, l’efficacité du groupe. Comme un sport collectif dans lequel l’absence d’un joueur perturbe le jeu : le bateau ne peut partir s‘il manque un canotier. En principe, un bénévole agit par engagement et reste maître de son action. On ne peut lui imposer un comportement, le retenir ou le sanctionner, même dans la hiérarchie des bénévoles. Ceci est compensé par les mécanismes des effets de groupe au sein des bénévoles, ou appel à la solidarité avec éventuellement une mise en cause publique, consciente ou non, pour forcer la sortie ou la reprise de l’engagement ; l’engagement devient alors plus motivé par la pression extérieure que la volonté intime et personnelle ; c’est un ressort largement utilisé par les syndicats, par les commerciaux, par certains organismes de charité, etc...
Aussi, une diminution de l’engagement est notée par le groupe qui opère alors une forme d’exclusion, et recherche un autre schéma pour tenir son objectif. Ceci est particulièrement vrai dans les associations reconnues d’utilité publique qui peuvent avoir une convention avec l’État, quelle que soit sa forme ; c’est une forme d’engagement de service : sauvetage, distribution de repas, soutien aux personnes âgées ou dépendantes, humanitaire, etc. Pour la SNSM, il y a l’objectif d’avoir une vedette à l’eau avec son équipage complet en moins de 15 mn après la sollicitation du CROSS. Ceci se construit avec de la formation, de l’entraînement, une organisation d’équipage en tour de permanence 24/7. Tout ceci avec des bénévoles, professionnels, sans contrat de travail !
Et pourtant il y a bien interface au quotidien, et il faut diriger
Qu’est-ce que je peux (moi qui prend un salaire) imposer à un bénévole (qui donne son temps) ? Son engagement impose le respect, particulièrement pour celui qui sait partir au milieu d’une soirée entre amis, prendre le bateau pour risquer sa vie pour en sauver d’autres, depuis 40 ans pour certains.
Il n’y a donc pas de management, au sens des bons ouvrages des rayons de bibliothèques professionnelles, entre salariés et bénévoles. Il y a pourtant une forme de management participatif qui tient compte de la nature de l’organisme, de sa culture, de son environnement. C’est donc 12 millions de personnes, au sein de 1,3 millions d’associations (dont 70 000 ont des salariés), qui doivent donc être managées selon des méthodes qui, compte tenu de la spécificité du bénévolat, diffèrent de celles d’un management tel qu’enseigné dans les écoles de management. L’association doit, comme toute organisation, utiliser au mieux ses ressources, et mener à bien ses projets. De ce fait, entre le bénévolat et la gestion rigoureuse des associations, des tensions sont inévitables. On pourrait faire la caricature suivante : les membres du CA, dont le président, veulent se faire élire ; le bénévole veut garder son statut social de membre de l’association, particulièrement les présidents de station qui sont des notables locaux ; les salariés courent après primes et promotions.
Le salarié n’est pas membre, il n’a pas de droit de vote. Il est au service des bénévoles ! De cette situation atypique, se crée une relation consciente ou pas, de fausse hiérarchie, basée plus sur le respect de l’engagement de chacun, quel que soit son statut (bénévoles ou salariés), qu’une hiérarchie de type administration. La relation humaine est au cœur du fonctionnement de l’association qui vit de l’engagement de ses membres (S+B). Le système est donc sous-tendu par de nombreux ressorts qui pourraient être contradictoires. Et pourtant ça marche, principalement parce que, bénévoles ou salariés, tous épousent d’abord le projet de l’association, et apportent avec fierté et engagement leur contribution. Quand je réalise, après un an passé dans cette très belle institution, que le sauvetage en mer repose sur 7 000 bénévoles en France, avec des finances basées à 85 % de la générosité du public, je n’en suis que plus reconnaissant d’avoir été invité à les aider.
Jean-Christophe Noureau, IGA | |
Après un début à DCN ou il enchaîne les programmes, la production, les achats, Jean-Christophe Noureau ouvre en Inde le poste d’attaché d’armement où il a fait signer le contrat Scorpène. En rentrant, il prend la direction du centre d’essai du Levant. En 2016, alors directeur adjoint à la DP, il quitte le service et rentre à la SNSM comme directeur technique. |
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