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05 juillet 2024

PRÊTS POUR LA GUERRE ?
UN RAPPORT DU COMITÉ DE LA DÉFENSE DE LA CHAMBRE DES COMMUNES (ROYAUME-UNI)

Ce rapport publié en février 2024 examine sans ménagement l’état de préparation (readiness) des armées britanniques pour l’accomplissement de leurs missions présentes et futures. Disons tout de suite que cet état est jugé insuffisant au regard de l’évolution du contexte géostratégique. 


Le Comité comprend de manière équilibrée des membres de la majorité et de l’opposition. Il a eu des entretiens avec les ministres concernés, d’anciens chefs d’états-majors et des universitaires de renom.

L’état de préparation est décliné suivant trois composantes :

• l’état de préparation « opérationnel » (sens différent en français), représentant l’aptitude à mettre en œuvre une force pour un engagement permanent ou pour répondre à une crise ;

• l’état de préparation au combat (warfighting, traduction en français imparfaite, adoptée par l’OTAN) lorsqu’il s’agit de haute intensité dans de multiples domaines et pour un temps long ;

• l’état de préparation stratégique (encore une traduction imparfaite) – l’aptitude à identifier et à utiliser tous les outils disponibles pour soutenir un effort de guerre ; c’est là que l’on trouve notamment les aspects économiques et industriels.

L’état de préparation fait partie de la composante physique de la puissance de combat (fighting power), où l’on trouve également le facteur humain qui était justement le thème du dernier numéro de notre magazine.

Le Comité s’estime insuffisamment informé et trouve anormal de n’avoir reçu que peu d’informations écrites ainsi que d’avoir dû attendre dix mois pour rencontrer des membres du gouvernement sur le sujet. Les informations dont il a besoin ne sont pas très détaillées et peu sensibles, et il faudrait être naïf pour penser qu’elles ne sont pas déjà en possession des adversaires potentiels du RU. Le rapport cite plusieurs pays où les informations publiées sur l’état de préparation sont plus fournies : Finlande, Allemagne, PaysBas, USA.

Des armées au-delà de leurs capacités normales

Le CEMA lui-même a reconnu que « le MOD a un énorme travail devant lui pour retrouver l’état de préparation dont nous jouissions pendant la guerre froide et dont nous avons besoin maintenant ».

De multiples programmes sont en retard, comme les sous-marins Astute et Dreadnought ou le véhicule de combat Ajax. Même l’acquisition de systèmes existants, comme les hélicoptères Chinook, prend du retard par manque de crédits, et l’inflation n’arrange rien...

Au-delà de ces problèmes, les quantités et les niveaux des systèmes d’armes disponibles sont jugés insuffisants : A400M, Patrouille maritime, avions de surveillance et de contrôle Wedgetail, vieillissement exagéré des navires de soutien (remplacements à partir de 2028), frégates de type 23 prolongées en raison des retards du type 26, nombre insuffisant d’hélicoptères Merlin HM2 (Marine), manque de véhicules de combat d’infanterie (les Warriors sont remplacés par des Boxers qui sont des véhicules de transport blindés), défense sol-air minimale, défense contre missiles balistiques inexistante, soutien de l’artillerie (et plus généralement de l’électronique et de la mécanique) de la 4e brigade mécanisée assuré uniquement par la réserve, ce qui rend cette brigade inutilisable avec un préavis court...

Le CEMA le reconnaît lui-même : « nous investissons comme des fous dans notre division de combat pour l’améliorer à l’horizon 2030 ; c’est encore une division de combat, mais ce n’est pas celle que nous voulons ». Un ancien CEMA va dans le même sens : « dans un conflit entre armées de mêmes niveaux (peeron-peer), nos forces auraient épuisé leurs capacités en deux mois ».

Les armées britanniques connaissent un gros problème de recrutement. Un autre rapport parlementaire récent observe que le « besoin croissant de spécialités est déjà insuffisamment satisfait dans plusieurs domaines clés, incluant le cyber, l’ingénierie, le nucléaire, le numérique, la logistique, l’aviation et le médical ». Le MOD reconnaît publiquement que pour 8 personnes quittant le service, 5 seulement sont recrutées actuellement. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon sont cités comme connaissant les mêmes problèmes.

Le rapport préconise de faire plus appel aux réservistes, qu’il faut encore motiver. Il insiste également sur la mise sous cocon comme palliatif : il vaut mieux un armement ancien retapé que rien du tout.

Le rôle de l’industrie de défense et des méthodes d’acquisition dans l’état de préparation

Au-delà des systèmes et équipements, l’Armée de terre britannique utilise une compagnie privée (Capita) pour gérer le recrutement de son personnel, modèle qui semble en cours de généralisation pour les trois armées. A surveiller de près.

Le Directeur de DE&S (Defence equipment and support), analogue de la DGA, admet que « nous avons quelques programmes sinistrés qui sont insuffisants ». Il ne dit pas lesquels, mais nous en avons rencontré plusieurs ci-dessus.

Les stocks de munitions sont également jugés insuffisants. Deux exemples sont mis en avant : le remplacement des missiles anti-char NLAW (6000) et celui des obus de 155 mm, lesquels sont vitaux dans le combat des forces ukrainiennes ; les livraisons en nombre suffisant ne doivent arriver qu’en 2024.

C’est à ce sujet que l’analyse est la plus développée, mais de nombreuses considérations s’appliquent à l’ensemble du tissu industriel.

• Le faible nombre de consommateurs implique que les lignes de production sont fermées s’il n’y a pas assez de commandes, ce qui se répercute chez les sous-traitants, qui peuvent parfois faire faillite ; c’est long à relancer, cas par exemple du NLAW.

• Il y a des goulots d’étranglement dans la chaîne logistique et des manques dans les matières, premières comme élaborées ; par exemple, le délai de livraison de certains semi-conducteurs est passé de 3 à 50 semaines.

• Les accroissements importants demandent des capitaux...

• Il est difficile de trouver du personnel compétent, et il est long de former de nouveaux spécialistes.

Le Comité rappelle ses recommandations d’un précédent rapport.

• Le MOD devrait se concerter avec l’industrie très en amont, en particulier sur les exigences et sur leur faisabilité.

• Le MOD devrait tenir compte du déficit en personnel qualifié et expérimenté et établir un plan d’amélioration sur 10 ans.

• Le MOD et le Ministère des finances (Treasury) devraient donner une définition plus précise de la « valeur sociale » dans les contrats de défense, expliquant comment les critères seront appliqués dans les mises en concurrence.

• On devrait viser un modèle de développement « en spirale » en donnant plus d’importance au facteur temps pour les livraisons. On viserait des plateformes plus simples qui pourraient être améliorées rapidement.

• Il faudrait passer de budgets annuels à des budgets pluriannuels.

Auteur

Yves Desnoës, a mené une double carrière, consacrée pour moitié à l’environnement marin, notamment au SHOM, dont il a été directeur, et pour moitié aux systèmes d’information. Il a été le fondateur du programme SCCOA - Système de commandement et de conduite des opérations aériennes dès 1986. Il est membre correspondant du Bureau des longitudes et ancien président de l’Académie de Marine. Voir les 10 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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