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Scénario n°1 “business as usual” avec épuisement rapide des ressources non renouvelables
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28 octobre 2023

ENERGIE, ECOLOGIE, ECONOMIE : UN TRIPLE DEFI A RELEVER
OU COMMENT ANTICIPER, DANS UN MONDE FINI, LA FIN SIMULTANÉE DE L’ABONDANCE EN ÉNERGIES FOSSILES, DE LA STABILITÉ CLIMATIQUE ET D’UNE ÉCONOMIE DÉCORRÉLÉE DU MONDE PHYSIQUE

La société occidentale développée dans laquelle nous évoluons s’est structurée depuis plus de 70 ans sans imaginer de contraintes majeures sur la disponibilité des combustibles fossiles, sans se préoccuper des effets de l’utilisation de ces énergies sur la stabilité du climat et sans questionner l’hypothèse d’une croissance économique perpétuelle, alors que nous vivons dans un monde fini. Même si l’homme, dans son histoire récente, a toujours réussi à repousser des limites perçues auparavant comme infranchissables, le triple défi qui se pose aujourd’hui à nous est d’une ampleur vertigineuse face à laquelle le GIEC, dans son dernier rapport de mars 2023, nous exhorte à mettre en œuvre de façon urgente les solutions déjà disponibles.


Et pourtant l’identification de ce défi n’est pas nouvelle

Ainsi, en 1972, à la demande du Club de Rome, une équipe de chercheurs du MIT encadrée par Denis Meadows publiait les résultats de ses travaux visant à appréhender les causes et les conséquences d’une croissance physique (empreinte écologique) continue dans un monde fini. Le livre correspondant « The limits to growth », qui a fait l’objet de rééditions ultérieures, allait créer un choc dans la communauté scientifique et économique internationale, se traduisant par un immense succès de librairie mais allait être dénigré puis ignoré par les dirigeants et économistes des pays développés, qui y voyaient une apologie de la décroissance, incompatible avec leur vision économique du monde.
L’équipe du MIT a considéré les cinq facteurs essentiels qui, selon elle, déterminent et limitent en fin de compte, dans leurs interactions, la croissance physique sur notre planète : l’augmentation de la population, la production agricole, l’épuisement des ressources non renouvelables, la production industrielle et la production de pollution (il n’était pas encore question d’effet de serre). Elle a élaboré un modèle dynamique du développement mondial, paramétré par ces cinq facteurs, dont elle a ensuite testé le comportement en fonction de plusieurs séries d’hypothèses afin de caractériser différentes trajectoires possibles pour l’avenir de l’humanité.

La trajectoire suivie depuis 50 ans se retrouve dans deux des dix scénarios modélisés. Ceux-ci se caractérisent, au début du XXIe siècle, par un accès de plus en plus difficile et coûteux aux ressources non renouvelables et concomitamment par une augmentation croissante et pénalisante de la pollution mondiale. Ces deux tendances contraignent progressivement l’économie mondiale et conduisent à une contraction rapide de la production industrielle, les investissements mondiaux ne pouvant suffire à financer simultanément la dépréciation de l’outil productif, l’accès aux ressources non renouvelables, la lutte contre la pollution, le maintien de la production de nourriture et les services essentiels à la population (santé, éducation..).

L’étude conclut au caractère inéluctable de l’adaptation (gérée ou subie) de l’empreinte écologique des activités humaines à la capacité de charge de la planète.

L’abondance en énergies fossiles a structuré notre mode de vie actuel

La disponibilité en énergies fossiles abondantes et bon marché, couplée à un progrès technologique continu a façonné notre mode de vie depuis l’ère industrielle (1850) et de façon encore plus marquée depuis 1950. L’augmentation récente considérable du transport des marchandises par voie maritime, de la mobilité en véhicule automobile, du transport aérien, de la production de béton et d’acier a structuré notre société, nos villes, nos modes de consommation, dans une perception voire une conviction d’un accès sans limites aux énergies et de façon plus générale aux ressources non renouvelables de notre planète.

La production énergétique mondiale s’est accrue d’un facteur 2,5 depuis le premier choc pétrolier de 1972, avec une superposition de la consommation de toutes les formes d’énergie. La consommation mondiale de charbon n’a ainsi jamais été aussi forte qu’en 2022.

C’est bien cet accroissement continu de la consommation d’énergies fossiles qui a permis au monde de connaître une croissance économique sans égale depuis 70 ans.

L’humanité n’a cependant pas encore pris conscience du caractère tarissable des réserves de combustibles fossiles, de ressources minérales, à un horizon proche s’agissant du pétrole et du gaz.

Ainsi, dans une étude publiée en 2021 et réalisée au profit du ministère des Armées, le Shift Project(1) a produit une analyse circonstanciée des risques qui pèsent sur les approvisionnements pétroliers de l’Union européenne, première importatrice mondiale de pétrole brut à égalité avec la Chine. Les experts consultés concluaient que si rien ne changeait, l’Europe risquerait fortement de manquer de pétrole au cours des années à venir, et de façon certaine au cours de la décennie 2030.

Fig 2 : Projections post-2020 de production de pétrole brut des 16 principaux pays fournisseurs de l’UE

Projections post-2020 de production de pétrole brut des 16 principaux pays fournisseurs de l’UE

Comme le souligne Matthieu Auzanneau, un nouvel ordre géopolitique et économique, particulièrement redoutable pour la majeure partie des États Européens, importatrice de pétrole mais aussi de gaz, se met désormais en place sous contraintes de disponibilité en énergie et en matières.

La sortie des énergies fossiles devient donc impérative pour l’Union Européenne, tant pour des questions de disponibilité que du fait des conséquences climatiques résultant de leur usage.

L’urgence climatique et écologique s’impose à nous

Les messages principaux du GIEC, dont le dernier rapport a été diffusé en mars 2023, ne laissent aucune place à l’ambiguïté :
V. Masson-Delmotte : « Il est clair depuis des décennies que le climat de la Terre change, et l’incidence des activités humaines sur le système climatique est incontestable»; P. Zhai « il faudra, pour stabiliser le climat, procéder à des réductions fortes, rapides et soutenues des émissions de gaz à effet de serre (GES) et ramener à zéro les émissions nettes de CO2 » ;
H.O. Pörtner : «Le changement climatique menace le bienêtre de l’humanité et la santé de la planète. Tout retard dans l’action mondiale concertée nous ferait perdre un temps précieux et limité pour instaurer un avenir viable » ;
J. Skea : « Le changement climatique est l’aboutissement de plus d’un siècle de pratiques non durables, tant du point de vue de l’utilisation de l’énergie et de l’exploitation des terres que de nos modes de vie, de consommation et de production. »

Et pourtant depuis l’entrée en vigueur en novembre 2016 de l’accord de Paris qui fixe pour objectif de « limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°C, de préférence à 1,5°C, par rapport au niveau préindustriel », les émissions mondiales de CO2, issues majoritairement de l’utilisation des combustibles fossiles, ont continué à croitre et le budget CO2 restant avant d’atteindre un niveau de réchauffement de 2°C est désormais inférieur à 30 ans, au rythme actuel des émissions mondiales.

Les effets déjà perceptibles du changement climatique alors que le niveau actuel de réchauffement de 1,2 °C devraient inciter les principaux pays responsables de ces émissions (le G20 produit 75% des émissions mondiales) à mettre rapidement en application les préconisations du GIEC. Si rien ne change rapidement à l’échelle de la planète, il est clair que notre futur climatique mondial de la seconde moitié de ce siècle se situera plus près des 3°C que des 2°C, avec les conséquences dramatiques associées.

L’UE a pris des engagements forts en adoptant en juin 2021, la loi européenne sur le climat « European Green Deal » qui vise une neutralité climatique en 2050, puis a accéléré la cadence vis-à-vis des objectifs 2030 en adoptant un ensemble de propositions rattachées au paquet « Fit for 55 ». L’ensemble de ces engagements sera décliné dans la future stratégie française sur l’énergie et le climat.

Au regard de cette nécessité d’abandonner progressivement les combustibles fossiles au niveau européen, il est nécessaire de s’interroger sur la soutenabilité sociale et économique d’une telle transition, en questionnant son impact sur les différents secteurs productifs de l’économie nationale et les emplois correspondants, le rythme à adopter, et la cible finale à horizon 2050.

Fig. 3 - Emissions mondiales de CO2 issues des combustibles fossiles et de l’industrie - https://ourworldindata.org/

Emissions mondiales de CO2 issues des combustibles fossiles et de l’industrie - https://ourworldindata.org/

Notre capacite à atteindre la neutralité carbone en 2050 est réelle

Le Shift Project a publié en février 2022, après deux ans de travaux, son « Plan de transformation de l’économie française », qui résulte d’une analyse des grands usages et des secteurs productifs (16 au total), sur la base d’un travail collectif, itératif et d’échanges avec les professionnels de ces secteurs.

Ce Plan a été élaboré selon une approche systémique et cohérente du point de vue des lois de la physique et des flux économiques, en prenant en compte les vraies ressources rares (les ressources physiques et les compétences) et a conduit à des propositions pragmatiques qui ne reposent pas sur le pari de la croissance économique, ni sur des évolutions technologiques encore non éprouvées.
Chacun des grands usages ou secteurs productifs a été analysé et a donné lieu à la publication d’un ou de plusieurs rapports, disponibles sur le site du Shift Project. Ces publications se rapportent notamment aux secteurs « amont » comme : agriculture-alimentation, forêt-bois, énergie, fret, matériaux et industrie, industrie automobile, et aux secteurs « usages » comme la mobilité quotidienne, la mobilité longue distance ou le logement.

La première conclusion de ces travaux, qui ont privilégié un raisonnement en flux physiques de matières ou de matériels, ou en ressources humaines, plutôt qu’en euros, considérant que de toute façon la dépense correspondante était inéluctable, est qu’une telle trajectoire de décarbonation de l’économie française est réaliste à l’horizon de 2050 et qu’elle s’accompagnera d’une transformation, disparition et création de certains emplois avec au total un solde positif net de 300 000 emplois sur une base de plus de 11 millions d’emplois. Le suivi d’une telle trajectoire suppose, selon le rapport, la mise en place d’une planification opérationnelle coordonnée des différents secteurs avec une gestion pilotée des ressources rares et de l’évolution profonde de notre système de production électrique.

La seconde grande conclusion de ces travaux est que pour un secteur déterminé, l’atteinte d’un objectif de décarbonation en 2050 passe par un juste équilibre, entre chaque secteur et au sein de chacun d’eux, entre sobriété, efficacité énergétique et ruptures technologiques.

Cette sobriété qui doit être désirée et acceptée, sélective et proportionnelle, a même fait l’objet d’un rapport de l’Académie des Technologies publié en juin 2023, qui précise en particulier que « la sobriété est nécessaire à court terme, car la technologie ne suffira pas à faire face à l’urgence climatique et que la sobriété est nécessaire au progrès et le progrès nécessaire à la sobriété ».

Cette sobriété apparait incontournable car face à une électrification massive des usages et process industriels, la capacité future de production d’électricité décarbonée ne pourra répondre à toutes les demandes ; une situation analogue caractérise les projections faites aujourd’hui sur l’usage de la biomasse et des sols, qui rendra impérative un arbitrage entre des besoins concurrents d’alimentation de la population, du bétail et de production d’agro-carburants pour la mobilité.

L’impact de cette transition écologique sur notre économie sera majeur

Au-delà de l’acception largement partagée sur le fait qu’à long terme, le coût économique de l’inaction climatique excède de loin celui de l’action, peu de travaux macroéconomiques argumentés ont été publiés concernant le coût de la transition écologique, sans parler de l’impact économique résultant de l’adoption d’un modèle de société conciliant neutralité climatique et croissance ou mieux bien-être.

Le premier rapport d’ampleur publié sur le sujet au plan national « Les incidences économiques de l’action pour le climat » a été rendu public en mai 2023 par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Les messages argumentés qu’il délivre donnent une idée de la transformation considérable à conduire pour tenir les objectifs fixés et de la communication indispensable qui devra accompagner cette transition pour qu’elle recueille l’adhésion de la population et des parties prenantes.

Il est remarquable de noter dans ce rapport l’utilisation de termes (finitude de la planète, sobriété, bien être, équité, acceptabilité sociale) rencontrés plus fréquemment chez les responsables soucieux de l’avenir écologique de notre planète que parmi les économistes.

De façon générale, le rapport considère que « cette transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé, mais plus globale et plus rapide, devra être pilotée d’abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés. Dans les années à venir, la décarbonation va appeler un supplément d’investissement par rapport à un scenario sans action climatique qui pourrait dépasser 2 points de PIB par an en 2030. Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti. ».La décennie à venir est ainsi qualifiée comme celle de toutes les difficultés.

A plus long terme et considérant les incertitudes associées, le rapport ne se prononce pas sur les effets sur l’évolution du PIB d’une transformation de notre société à l’horizon 2050, préférant orienter ses propos sur la notion de bien-être.

Enfin le rapport reconnait que la transition climatique pose des problèmes nouveaux à l’analyse économique et qu’elle signe le retour du concret dans les préoccupations macro-économiques, avec la nécessité de prendre en compte la finitude de la planète et de questionner la disponibilité de certaines ressources comme les matériaux critiques. Par ailleurs, il considère que les incidences macro-économiques de la sobriété sont difficiles à appréhender a priori.
Dès lors, on ne peut qu’être circonspect devant l’attitude de certains responsables qui ont les yeux rivés sur l’évolution du PIB, qui plus est projeté en croissance continue dans leurs scénarios prospectifs, ceci indépendamment de la raréfaction de certaines ressources épuisables, de l’effet du changement climatique sur la production agricole, des mesures de sobriété et des changements structurels de société qui s’avèrent incontournables si l’on souhaite tenir le cap fixé pour la neutralité climatique.

Un changement structurel de mode de vie à anticiper et à construire

Nous sommes clairement aujourd’hui à un moment clé de notre histoire et au-delà des avancées technologiques ou des mesures de sobriété envisageables, il serait illusoire de penser ou de laisser croire que tout peut continuer comme avant ou presque, sans rien avoir à modifier dans nos comportements. L’allègement de la pression écologique de notre production et de notre consommation est un impératif. Chacun de nous a sa part à prendre, mais en n’oubliant pas que les 10 % les plus riches à l’échelle de la planète sont responsables de la moitié des émissions totales de gaz à effet de serre.

Doit-on parler de décroissance ou de déconsommation pour les pays ou les individus qui le peuvent, toujours est-il qu’il parait indispensable d’inventer un ou des systèmes socio-économiques permettant d’atteindre ou de maintenir un haut niveau de qualité de vie, tout en restant à l’intérieur des limites planétaires.Il revient aux dirigeants les plus influents du monde de donner le ton, mais ils sont encore très loin de s’engager dans une action d’envergure concertée.

Au seul plan national, et à un moment où le gouvernement va préciser sa stratégie énergie et climat, le projet de transformation de notre économie et in fine de nos modes de vie impose une organisation adaptée, avec une volonté et une capacité de planification et d’arbitrage, une aptitude à comprendre des enjeux complexes et systémiques, une base scientifique solide et une rigueur dans l’analyse.

Nul doute que nombre d’ingénieurs, pour ne citer qu’eux, peuvent trouver une source d’épanouissement professionnel et personnel en contribuant à relever ce défi majeur. La transition climatique a besoin de leurs talents et de leur enthousiasme, au sein de l’État, des administrations, des collectivités territoriales, du monde des entreprises, de l’industrie ou de la recherche.

Il en va de notre futur, tout simplement.

(1) The Shift Project : think tank présidé par Jean-Marc Jancovici et dirigé par Mathieu Auzanneau

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