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lbert Thomas en 1923
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15 juillet 2024

ALBERT THOMAS, MINISTRE DE L’ARMEMENT

Né à Champigny-sur-Marne en 1878, Albert Thomas est fils de de boulanger et professeur agrégé d’histoire. Il est l’auteur d’une étude sur le syndicalisme allemand, publiée en 1903. À partir de 1904, il collabore avec Jean Jaurès à la rédaction de l’Humanité. Il est élu député socialiste en 1910.

Article extrait de l’ouvrage « L’armement français au XXe siècle » – Collection Les cahiers de l’armement – Ellipses 2000.


Le 20 mai 1915, Albert Thomas est nommé dans le cabinet Viviani « sous-secrétaire d’État à la guerre ». Le 29 octobre, alors que la Présidence du Conseil échoit à Briand, ses fonctions sont définies plus explicitement : il est nommé « sous-secrétaire d’État de l’artillerie et des munitions au ministère de la Guerre ». Le 12 décembre 1916, lors de la formation du second cabinet Briand, il est promu à 38 ans « ministre de l’armement et des fabrications de guerre » et renouvelé à ce poste le 20 mars 1917 lorsque Ribot prend la tête du gouvernement. Il quitte le gouvernement le 12 septembre 1917, lors du remplacement de Ribot par Painlevé.

Albert Thomas en 1910

La présence d’Albert Thomas au gouvernement s’inscrit dans le cadre de l’« Union sacrée » qui dure du 26 août 1914 au 12 septembre 1917. Celle-ci se traduit par la participation, de part et d’autre d’un ensemble central composé de républicains modérés (progressistes modérés, radicaux-socialistes et socialistes indépendants), d’un certain nombre de représentants de l’extrême gauche et de la droite contre-révolutionnaire.

La promotion d’Albert Thomas au rang de ministre en décembre 1916 s’accompagne de l’émancipation du secteur de l’armement, jusque-là placé sous la responsabilité du ministère de la Guerre. Elle correspond à une nécessité objective compte tenu de l’importance prise par les questions d’armement à ce stade du conflit, mais également à la volonté du pouvoir civil, incarné par Briand, de réduire, après l’éloignement de Joffre et la nomination de Lyautey comme ministre de la Guerre, l’influence et les prérogatives des militaires. Ainsi, en tant que ministre de l’Armement, Albert Thomas participe au comité de guerre présidé par Briand, au même titre que Ribot, ministre des finances, Lyautey, ministre de la guerre et l’amiral Lacaze, ministre de la Marine.

Dans ses fonctions de secrétaire d’État puis de ministre de l’Armement, Albert Thomas va planifier l’activité économique du pays afin de permettre la production en masse d’armements et de munitions, en s’efforçant de mettre en œuvre les principes de « l’économie organisée » qu’il a établis dès l’avant-guerre et que le

À gauche : Albert Thomas en 1910 À droite : Albert Thomas en 1923

parti socialiste a repris à son compte dans une résolution adoptée par son Conseil national le 15 juillet 1915. Il y est notamment indiqué qu’il faut remplacer « les méthodes de la bureaucratie qui ne sont plus en harmonie avec l’industrie et le travail modernes, ni compatibles avec la rapidité des résultats à obtenir. »

S’appuyant sur l’État, qui doit être en mesure de jouer un rôle de régulation de l’économie, en nationalisant si nécessaire un certain nombre d’entreprises, Albert Thomas reconnaît le rôle irremplaçable de l’initiative privée. Celle-ci constitue le moteur de l’économie, mais ne peut être livrée à elle-même. Le libéralisme n’est pas la panacée. L’État doit planifier les initiatives individuelles sans se substituer à elles. Il doit orienter et coordonner les forces productives.

Cette intervention de l’État ne prend pas la forme d’une contrainte, mais repose sur l’incitation et la persuasion. Albert Thomas ne recourt au droit de réquisition – pourtant reconnu à l’État en temps de guerre – qu’en cas de défaillance des entrepreneurs privés. À ses camarades socialistes qui lui reprochent une telle attitude, il rétorque que l’on peut tout réquisitionner, mais que « l’esprit de risque, l’esprit d’initiative ne se réquisitionnent pas ». Par le biais d’une politique contractuelle intelligente, il parvient, sans mêler l’État à la marche des entreprises, à obtenir une production massive d’armements de qualité.

Il modernise en parallèle les établissements d’État, introduisant une rationalisation du travail, une mécanisation poussée et des machines modernes. Il tente même de mettre en place un mécanisme d’intéressement du personnel, mais se heurte au conservatisme des échelons de direction des établissements comme à celui des organisations ouvrières. La création de l’arsenal de Roanne apparaît comme un échec.

La coopération avec les organisations ouvrières constitue pourtant un volet important de la politique industrielle d’Albert Thomas, qui voit dans la guerre l’occasion d’intégrer la classe ouvrière à la nation. Un décret du 17 janvier 1917 met ainsi en place une procédure de conciliation et d’arbitrage dans les usines de guerre. Il s’agit, sinon d’éviter les conflits du travail, du moins d’instaurer une discussion préalable à leur déclenchement. La procédure concerne autant les patrons que les ouvriers : ni les ruptures de contrats de travail ni les grèves ne sont plus possibles sans discussion préalable. Ces structures de concertation fonctionnent jusqu’au printemps 1918.

Albert Thomas institue également, par une circulaire du 5 février 1917, des délégués d’atelier élus par les ouvriers, qui peuvent donner leur point de vue sur l’organisation de la production, les conditions de travail et le niveau des rémunérations. Ces deux réformes complémentaires contribuent à apaiser la crise sociale qui se manifeste, au travers d’une vague de grèves, au printemps 1917, en permettant d’aboutir dans la plupart des cas à un règlement rapide des conflits.

En à peine plus de deux ans passés à la tête du secteur de l’armement, Albert Thomas aura ainsi fait œuvre de pionnier à plusieurs égards, apparaissant comme le créateur de ce que l’on appellera une cinquantaine d’années plus tard le « complexe militaro-industriel », mais aussi comme le père du « réformisme socialiste ». Il laissera l’image d’une politique parfaitement organisée et adaptée aux réalités que le conflit imposait.

La formation du cabinet Painlevé en septembre 1917 marque la fin de l’Union sacrée. Le portefeuille d’Albert Thomas est repris par Louis Loucheur. Ce dernier était déjà sous-secrétaire d’État à l’armement auprès d’Albert Thomas depuis mars 1917. Il occupe les fonctions de ministre de l’Armement et des fabrications de guerre dans les cabinets Painlevé et Clémenceau.

Albert Thomas participe alors activement à la fondation, dans le cadre de la Société des nations (S.D.N.), du Bureau international du travail (B.I.T.), dont il est nommé président à sa création en 1920. A ce poste, il demeure un fervent partisan de l’intégration de la classe ouvrière à la société française. Il appuie en particulier les travaux conduits en vue d’un nouveau saint-simonisme par le groupe des « rationalisateurs » qui s’est formé chez les socialistes autour du polytechnicien Jules Moch. Il ne quitte ses fonctions qu’à sa mort, qui intervient à Paris en 1932.

D’une manière générale, les hommes politiques de gauche, à qui on pourra reprocher à juste titre un certain manque de culture militaire, feront preuve tout au long du siècle d’un conception industrielle et gestionnaire des affaires de défense. Dans le domaine de l’armement, cette conception se traduira par un intérêt particulier pour les armes techniques comme l’artillerie et l’aviation.

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