SOUVENIRS D’ALLEMAGNE : LE COBRA
La fin de développement du radar de contrebatterie de l’artillerie, développé en coopération avec l’Allemagne et le Royaume-Uni : une aventure inoubliable.
En 1994, la Direction des Armements Terrestres de la DGA me proposa de devenir co-directeur français du bureau trilatéral de programme COBRA à Coblence (Trilaterales Programbüro COBRA – TPC), au confluent du Rhin et de la Moselle. A cette époque – l’OCCAR ne sera créée qu’en 1998 – il était de coutume dans les programmes internationaux avec un faible nombre de nations partenaires de partager la direction de l’organe conjoint entre les différents pays.
Le TPC, un bureau de programme très attachant
Le bureau était situé dans l’aile nord du Kurfürstenschloß de Coblence, au même étage que le bureau de programme franco-allemand du TIGRE. Le personnel « technique » de chaque nation comptait six membres et l’Allemagne nous fournissait en plus le personnel pour les secrétariats, la logistique et l’informatique. Les décisions étaient prises en consensus entre les trois co-directeurs. Notre interface industrielle, notre ligne de front, était le consortium Euro-Art, basé à Munich et composé à l’époque de Thomson CSF Airsys, de Siemens, de Martin Marietta et de General Electrics, cette dernière société américaine étant à l’origine de la technologie des composants MMIC de l’antenne du COBRA. Le COBRA était né dans les années 80, du besoin de la France de disposer d’une capacité de trajectographie et de contre-batterie pour l’artillerie sol-sol. Au titre du développement du radar, chaque nation avait son prototype dont les seuls vrais caractères différents étaient le camion porteur, le système radio et la langue d’utilisation. Les prototypes 1 et 2 avaient une antenne fabriquée aux USA et l’antenne 3 du prototype français était manufacturée en Europe.
La langue de travail du TPC était l’anglais et les six français que nous étions étaient tous trilingues. Il nous arrivait parfois de travailler en allemand avec nos amis d’Outre-Rhin quand nos camarades anglais n’étaient pas là.
Le COBRA, un radar merveilleux mais pas facile à mettre au point, avec des risques importants et une erreur d’inattention
Nous avions constaté que le radar avait le bug de l’an 2000 tous les jours (le sujet était à la mode en ce temps-là) si on programmait une mission démarrant avant minuit et se terminant le jour suivant. Euro-Art voulut nous faire payer un avenant pour résoudre ce problème. Non seulement la fonctionnalité devait marcher au titre des spécifications et était donc due, mais l’argument comme quoi cela allait être difficile à résoudre en termes de lignes de code ne tenait pas car le système utilisait un calculateur de PC qui, comme chacun le sait, a une horloge linéaire fonctionnant avec une date initiale au 1er janvier 1904.
Le problème le plus dur pour moi se passa à l’été 1997. L’antenne prototype n°3, produite en Europe, était achevée et en test pour intégration. Elle commençait à s’autodétruire dès qu’on la mettait sous tension. Dû à une oscillation hors bande opérationnelle du radar, il y avait un retour d’énergie de la voie d’émission vers la voie de réception des composants MMIC. General Electrics, devenu Lockheed Martin entre temps, n’avait rien dit sur les spécifications horsbande et prétendit que ce n’était pas de sa faute. Par chance, nous avions lancé dès 1995 un important programme de réduction des coûts de production de l’antenne qui visait notamment à réduire de 7 à 3 les chips des MMIC. Nous en profitâmes pour revoir les spécifications et blinder la circulation des signaux.
MLRS, le retour
Conçu à l’époque de la guerre froide et devenu dans les années 90 un outil magnifique de maintien de la paix, le COBRA donne les coordonnées d’origine et d’arrivée des obus et roquettes trajectographiés. S’agissant des roquettes d’entraînement M28 du MLRS, explosant à 1000 mètres au-dessus de l’objectif pour libérer des barreaux métalliques à la place des grenades, et qui étaient utilisées pour les essais de qualification, nous ne pouvions disposer de coordonnées d’impact alors que le COBRA fournissait des coordonnées d’arrivée d’une roquette monolithique qui n’aurait pas explosé. Ayant en ma possession le logiciel de tir des M26 en version macintosh (Cf. Article « souvenirs du Levant » de la revue n°129), je créai alors pour nos équipes un logiciel d’interface sous Hypercard, où les artilleurs du TPC n’auraient qu’à entrer les coordonnées du lanceur, le message météo et le point d’explosion des roquettes observé par télémètre laser par les observateurs des tirs. L’interface Hypercard effectuait alors plusieurs calculs de manière itérative de façon à faire passer une trajectoire monolithique par le point observé. Nous avions naturellement ainsi les coordonnées d’impact au sol. Euro-Art fut assez surpris…
Sur le sentier des douaniers
La France n’avait pas de TVA à payer sur les programmes en coopération ne se passant pas sur son sol. Outre le fait que l’argent français du programme était en banque allemande et en quatre devises, quelqu’un s’avisa un jour de vouloir faire payer une TVA sur le prototype français quand il viendrait à passer la frontière. Ce prototype étant partie intégrante du développement je réussis à le faire maintenir hors taxes avec les douanes, ce qui évita au Ministère de la Défense de payer cette TVA. Le prototype fut immatriculé en plaque rouge et affecté au 74e RA.
La négociation de la production du COBRA
Si l’année 1997-1998 fut aussi beaucoup consacrée à la mise au point et à la négociation du futur contrat de production, elle mit en évidence une erreur commise vers 1992 ou 1993 : la longueur du bloc shelter du radar était de 19 et non de 20 pieds qui est la taille normale d’un shelter en logistique. Les véhicules porteurs du prototype du radar étaient donc spécifiques, accueillant non seulement le bloc d’alimentation diesel (PPU, Prime Power Unit) mais aussi ce shelter à 19 pieds. En cas de nécessité de chargement du radar sur un camion logistique standard, seuls deux coins ISO seraient donc utilisables, l’arrimage de l’autre extrémité du shelter devant être faite par des chaînes. Si cette dimension ne posait pas de problème pour le développement, elle n’aurait jamais dû être entérinée pour la future production et le coût pour revenir en arrière était trop important.
Nous devions avoir une réunion finale de négociation à la fin du printemps 1998. Elle devait être présidée par le côté allemand. Quelques temps auparavant, le codirecteur allemand m’informa que le Colonel Rohr, chef de délégation allemande, souhaitait me parler dans son bureau à Bonn et seul. Nous discutâmes donc tous les deux plus de trois heures en allemand, où je lui décrivis les différents points sensibles du programme et de la future négociation. Il sortit de la réunion très motivé et me demanda de l’assister personnellement pendant la négociation. Elle se passa à Berlin, à la Julius-Leber-Kaserne, l’ancien quartier Napoléon que j’avais connu dans ma jeunesse, quand je fus quelques temps berlinois à l’époque de la guerre froide.
Une œuvre de tradition militaire, l'insigne du Cobra
Sous l’impulsion du LCL Didier Debray, qui était notre artilleur français du bureau, j’organisai un concours en vue de créer un insigne militaire de tradition à porter en pucelle en poitrine sur nos uniformes, quelle que ce soit notre nationalité.
Le lauréat fut l’insigne suivant dont la description héraldique française est : Cobra de bronze lunetté et dressé sur ses anneaux, à langue de gueule, écrasant une paire de canons du même, le tout brochant un écu allemand d’azur portant trois étoiles d’or en chef et le logo « TPC » en pointe. L’insigne fut tiré à 1000 exemplaires.
J’ai quitté le TPC à l’été 1998 pour mon affectation suivante à Toulouse. J’eus l’occasion de revenir à Coblence en juin 2000 pour fêter le début de la production. Nous fîmes tous ensemble une magnifique croisière sur le Rhin jusqu’au rocher de la Lorelei.
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