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Production journalière d’explosifs nitrés et nitratés (août 1914-novembre 1918). Source : Albin Haller, « L’industrie chimique pendant la guerre », Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, novembre-décembre 1920, p. 817
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14 juillet 2024

1914/1915 - LA RÉACTION AU CHOC DE L’INVASION : LA MOBILISATION INDUSTRIELLE

Publié par Mario Faure, Président de l’Association des auditeurs de l’IHEDN | N° 132 - MONTÉES EN PUISSANCE

Comment la France a réagi, dans ses grandes lignes, à la fois au choc de l’invasion et aux conséquences d’une installation du conflit dans la durée. 


La mobilisation industrielle, qui s’est mise en place dès septembre 1914, est d’abord la réponse à une urgence absolue : la pénurie de munitions. Ce n’est que dans un deuxième temps, à partir de 1917 que la mobilisation sera aussi au bénéfice de la production d’équipements nouveaux tels que les canons lourds, les camions, les avions et, bien sûr les chars d’assaut.

La mesure de la crise

Au-delà de l’espoir bien humain des mobilisés « d’être rentrés pour Noël », victoire acquise bien entendu, les experts des pays belligérants estiment quasi unanimement que la nature de cet affrontement contraindra à une campagne rapide précisément parce que l’on pressent qu’il va être très consommateur de ressources. Les principales guerres précédentes ont bien montré qu’il y a une forte consommation qu’aucune économie n’est capable de supporter longtemps. Le nombre des mobilisés désarme l’économie pour fournir les effectifs d’armées dont le nombre n’a jamais été égalé. Enfin, des économistes pensent que l’imbrication et les dépendances croisées des économies vont soit éviter la guerre soit la limiter dans le temps.

Il apparait très vite que les cadences de tir, notamment pour l’artillerie de campagne, sont en total déphasage avec les stocks existants et, plus grave, avec les capacités de production. Joffre écrivit que les signaux d’alarme lui étaient arrivés vers les 17/18 septembre et qu’il en avait immédiatement avisé le Gouvernement replié à Bordeaux. Pour les obus de 75, les chiffres les plus cités sont d’un besoin de 100 000 coups par jour alors que la production quotidienne est de 10 000. Compte tenu de l’affaiblissement pour ne pas dire l’effondrement des capacités minières et industrielles dues à l’invasion, cette crise des munitions va prendre une dimension aussi dramatique que stratégique.

La question de l’énergie

En 1914, la source principale d’énergie est le charbon. La France a perdu une proportion énorme de ses ressources en charbon. Sous l’impulsion du gouvernement

d’union nationale de Viviani et du ministre de la guerre Millerand le pays va recourir à deux moyens pour compenser ces pertes. Le premier est le recours intensif à l’importation, venant principalement de Grande-Bretagne puis de la péninsule ibérique.

Mais l’État ne prendra la pleine mesure du risque de pénurie de charbon qu’au début de 1916 avec la création du Bureau du Charbon qui dirigera l’importation, la production et la répartition du charbon jusqu’en 1921.

Les matières premières industrielles

Trois branches industrielles vont fournir la quasi-totalité des moyens dont dépendront les armées : la chimie, la métallurgie et le textile.

Pour la chimie l’urgence est dans la production de phénol à partir duquel se fabriquent la mélinite, la tolite et le nitro-naphtalène indispensable pour les poudres. Les usines restantes sont concentrées dans la région lyonnaise et dans les Alpes. Leur production va être spectaculairement accrue au point que dès 1915, les ressources viendront à 80 % de la région lyonnaise.

La métallurgie va se déconcentrer pour l’essentiel au profit de la Bourgogne, la Basse Normandie, le Massif Central. Là aussi les importations seront nécessaires notamment en provenance du Chili pour le cuivre indispensable à la fabrication des douilles.

L’adaptation de l’appareil de production

Cette adaptation, vitale pour le pays, va prendre quatre dimensions nouvelles.

La première est l’émergence ou le renforcement de nouvelles zones industrielles. La perte de potentiel représentée par l’occupation des départements les plus industrialisés oblige à renforcer les pôles déjà anciens que constituent la Bourgogne, avec le Creusot, Lyon ou la Basse Normandie. Le paysage industriel français se modifie avec la création puis la montée en puissance de régions éloignées de la zone des combats comme Toulouse et, surtout, l’affirmation de la région parisienne comme le premier bassin industriel français.

La seconde dimension est l’effort d’organisation d’ensemble mené sous la direction du Gouvernement. Sept groupements industriels régionaux animés par un des grands industriels privés, vont coordonner l’extension de la mobilisation industrielle bien au-delà des arsenaux qui ne suffiraient plus à la demande.

La troisième dimension de cette mobilisation tient à la modification des processus de fabrication. Pour les obus, c’est l’alternance entre l’emboutissage et le décolletage. L’emboutissage est la méthode des arsenaux qui demande des presses lourdes, absentes dans l’industrie privée qui va recourir à l’usinage par décolletage puis, ensuite, va s’équiper de presses adaptées. Ce sera le cas notamment de Citroën.

Enfin – et ce n’est pas la moindre des transformations les méthodes des industriels privés s’adaptent aux productions de masse par un recours à la taylorisation déjà pratiquée aux États-Unis. Renault, Peugeot, Citroën introduisent ainsi le travail à la chaîne.

La mobilisation des ressources humaines au profit de l’industrie

La guerre devait être courte et les masses de réservistes mobilisés complétement limitées. En conséquence, le personnel de production de l’industrie est requis pour aller combattre. En août et septembre 1914, la production industrielle chute de façon importante et, dans le secteur de l’armement, seuls 50 000 ouvriers sont maintenus dans les arsenaux. La mobilisation industrielle va avoir comme première exigence la démobilisation militaire des ouvriers, techniciens et ingénieurs pour assurer la production d’équipements. Joffre va se montrer réticent au renvoi au « front de l’arrière » d’une partie de ses troupes. Le gouvernement, pressé par les industriels, va peu à peu obtenir des départs de l’armée au bénéfice des usines. Ce sont 350 000 militaires qui sont relevés du front pour aller aux usines d’armement alors que 150 000 autres sont affectés aux mines. Cette réorientation de la mobilisation des hommes s’accompagnera de mesures suspensives des droits des travailleurs comme celui de la grève et générera des rancœurs tenaces auprès du reste des mobilisés au front dans la mesure où les personnels industriels seront à l’abri, moins séparés de leur famille et mieux payés.

Autre aspect, de cette mobilisation, les femmes occupent plus qu’avant-guerre des postes y compris pénibles. Malgré cela, la substitution hommes/femmes n’a jamais été supérieure à 20 % et il existait déjà une longue tradition féminine dans l’emploi manufacturier dans des branches autres que celles sollicitées par l’effort de guerre.

Enfin, l’industrie française a mobilisé des travailleurs venus des colonies tant d’Afrique du Nord que d’Afrique noire et d’Indochine. À ce contact, un certain nombre développèrent des approches nouvelles au plan social et politique et cette mobilisation industrielle complète ne fut donc pas sans incidence importante sur le futur mouvement de décolonisation.

Le premier enseignement de cette période est le contraste entre l’ampleur de la mobilisation industrielle et son caractère en définitive assez simple. Par rapport aux armements que nous avons aujourd’hui, ceux de 14 tenaient à des technologies moins sophistiquées. En 1914, une entreprise qui fabriquait des bicyclettes pouvait assez rapidement passer au tournage d’obus ou à des fabrications de mitrailleuses. Aujourd’hui, une entreprise de construction automobile aurait plus de difficulté à fabriquer des missiles.

La deuxième est qu’en définitive l’État comme le secteur privé a su faire preuve de souplesse et d’adaptation, inaugurant un nouveau mode de relation qui a sans doute facilité le réarmement avant la Seconde Guerre mondiale.).

 

Auteur

Mario Faure, Président de l’Association des auditeurs de l’IHEDN

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