LES ESSAIS DE PROPULSEURS A SACLAY
Le plateau de Saclay est désormais célèbre pour ses différents pôles universitaires, ses nombreux laboratoires ou encore son ancien réacteur nucléaire de recherche. Le premier à s’y être installé au sortir de la seconde Guerre Mondiale, DGA Essais propulseurs (à l’époque CEMH pour Centre d’Essais des Moteurs à Hélices) est moins connu bien qu’il sculpte le paysage avec ses installations techniques uniques.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’aviation militaire française entame sa transition des moteurs à pistons vers la propulsion à réaction. Celle-ci permet d’atteindre des vitesses et des altitudes plus élevées mais les réacteurs sont aussi bien plus sensibles aux conditions de vol (altitude et vitesse) et nécessitent donc d’être mis au point et testés sur tout le domaine de vol de l’avion. Les avions banc d’essais, encore utilisés de nos jours, ne permettent de couvrir qu’une faible portion du domaine de vol des avions militaires. Il faut donc concevoir des installations au sol capables de placer un moteur dans les conditions qu’il connaitrait en vol.
Les bancs d’essais pour moteurs à pistons étaient des réalisations simples et chaque motoriste pouvait en faire l’investissement. A l’inverse, une installation capable de réaliser des essais en conditions de vol simulé est d’une toute autre ampleur en termes de complexité et de puissance (plusieurs dizaines de MegaWatts). Ainsi, comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne avant elle, la France prend conscience du besoin d’une installation d’essais étatique de forte puissance qui pourrait accueillir l’ensemble des essais des différents motoristes (cette même politique a d’ailleurs été suivie dans le domaine des souffleries).
Le 9 août 1946, la décision est prise d’installer le CEMH sur le plateau de Saclay, choisi pour plusieurs raisons :
Ce vaste plateau est désert en 1946 ;
Des étangs (créés par Louis XIV pour alimenter les fontaines de Versailles) pourront servir de réfrigérant naturel pour les installations de refroidissement du centre ;
Le Fort de Villeras, à proximité, et les deux étangs font déjà parties du domaine public.
En 1947, le nombre d’essais de moteurs à pistons à réaliser reste très important. Des premiers bancs d’essais « sol » sont donc installés dans les fossés du fort de Villeras (notamment pour limiter la pollution sonore) et leur exploitation commence dès 1948. En parallèle, le bâtiment A est construit entre 1950 et 1952. Il abrite la première installation technique de conditionnement d’air, d’origine allemande et conçue initialement pour des essais de moteurs à pistons. Cette installation, bien que modeste (débit : 2 kg/s), permet également de réaliser des essais de petites turbomachines ou des essais partiels de chambres de combustion. Elle sert aussi de maquette pour la mise au point d’installations bien plus ambitieuses capables de fournir un débit d’air 100 fois supérieur : le bâtiment B.
Pour fournir la puissance nécessaire à ces nouvelles installations, il avait initialement été envisagé de recourir à l’électricité. Cependant, en 1949 la production électrique en région parisienne était insuffisante et il aurait fallu construire une ligne spéciale à longue distance pour alimenter le centre. La solution retenue est de créer sur place une centrale de production de vapeur qui, couplée à des turbines à vapeur, pourrait alimenter les installations de conditionnement d’air. Ainsi, l’établissement des Constructions Navales d’Indret fournit les anciennes chaudières du porte-avion Joffre et celles du croiseur Montcalm. Ces chaudières sont mises en service entre 1955 et 1964 et fournissent au centre une puissance utilisable de 75 MW. Pour permettre l’exploitation des étangs, la construction d’un château d’eau débute dès 1953. Celui-ci est d’ailleurs toujours visible depuis une grande partie du plateau. C’est durant cette période de montée en puissance que le centre change de nom et devient le CEPr (Centre d’Essais des Propulseurs) en 1959. Il gardera ce nom jusqu’en 2010 avant de devenir DGA Essais propulseurs.
Le début des années 1970 voit de grands investissements pour le centre. L’objectif est de répondre aux besoins des nouveaux grands programmes civils et internationaux tels que le moteur Olympus (Concorde) ou le CFM56 (A320 ou B737). Une nouvelle fois, la question de la génération de la puissance nécessaire se pose. Parmi les trois solutions envisagées (électricité, turbine à vapeur ou turbine à gaz), une chaudière industrielle à vapeur est finalement choisie dans un souci de continuité avec les installations déjà opérationnelles sur le centre. Le 11 décembre 1973, le tout nouveau bâtiment C est inauguré. On y trouve une chaudière à vapeur délivrant une puissance utile de 50 MW ainsi qu’une nouvelle centrale de conditionnement d’air doublant ainsi les capacités du centre. Ce grand bâtiment de briques rouges associé à une haute cheminée est toujours visible aujourd’hui.
Vue actuelle du centre. On retrouve l’étang et le château d’eau au premier plan ainsi que la cheminée du bâtiment C au second plan. A droite, on devine le poste haute tension et la ligne électrique qui longe le centre. Enfin, on peut remarquer l’urbanisation croissante du plateau à l’arrière-plan.
Les années 1990 marquent le déclin des installations du bâtiment B après plus de 30 ans d’essais. Dans le contexte du développement du M88, le moteur du Rafale, il est primordial de remplacer ces moyens pour éviter un trou capacitaire dans le centre. Un ambitieux plan de construction de nouvelles installations est alors présenté aux autorités de tutelle dès 1983. Ce plan, revu à la baisse, aboutira entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000 à la construction des moyens de conditionnement d’air encore utilisés aujourd’hui. Cette nouvelle étape dans la vie du centre amène une petite révolution : le tout électrique. En effet, le contexte est bien différent et l’électricité d’origine nucléaire permet à la fois une diminution des coûts et une plus grande souplesse de fonctionnement. Vulgairement, il n’y a qu’à appuyer sur le bouton « ON » pour commencer un essai. C’est ainsi que l’on voit fleurir sur le centre un poste électrique haute tension directement alimenté par une ligne très haute tension qui longe le centre.
Alors que les développements liés au SCAF commencent (DGA EP a accueilli en 2023 le premier essai de brique technologique pour le SCAF), des réflexions ont été initiées pour le développement de nouveaux moyens. Si l’électrification n’est pour le moment pas remise en cause, de nouveaux enjeux liés à l’urbanisation du plateau (pollution sonore et atmosphérique) pourraient amener à des solutions techniques différentes. Ainsi, la silhouette du centre pourrait de nouveau évoluer dans les années à venir.
Source : Le cinquantenaire du CEPr, 1996
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